Dans la première partie du texte (hommage à G.POLIZER – 1ère partie), la distinction de la psychanalyse, comme psychologie concrète, prime.
Avant de poursuivre ma lecture du texte, je souligne que la distinction (l’équivoque est à entendre) de la psychanalyse eut égard aux psychologies, reste pour nous nécessaires. Aujourd’hui encore la confusion établie entre l’acte psychanalytique et les interprétations vulgarisantes des psychologies fait rage.
De plus, chaque psychanalyste se doit d’établir, à travers ses propres travaux valant comme analyse de transfert, de nouvelles clarifications proches de celles établies par POLITZER quant à l’objet de la psychanalyse. Par ce biais, il poursuit cette démarche d’élaboration favorisant à la mise à jour des effets de l’inconscient.
C’est cet autre caractère majeur de la psychanalyse, que souligne POLITZER: « Le sujet qui subit [subir n’est pas le terme adéquat…] la psychanalyse ignore l’interprétation, et il parle sans se douter du sens que la psychanalyse (et non, le psychanalyste, je précise) dégagera des matériaux (…) fournis(…). Le psychologue introspectif, au contraire, attend de son sujet une étude déjà psychologique »
« Le psychanalyste précisément ne demande pas à son sujet de changer, pour ainsi dire, de manière d’être ».
En effet, le psychanalyste sait qu’il ne s’agit pas d’être (« normal », par exemple), mais de s’entendre dire ce qui restait jusqu’alors inattendu. Autant inattendu pour l’analyste que pour l’analysant.
Il n’est donc pas question de deviner ou de « revivre sympathiquement (avec empathie, pourrait-on dire) les états d’âme de son sujet »; ce qui caractérise l’introspection. Au même titre que « le physicien n’a pas besoin de se transformer en bobine pour étudier l’induction », « le psychanalyste n’a pas besoin d’avoir des complexes pour étudier ceux des autres et il lui est même rigoureusement défendu d’en avoir », ce que lui aurait permis sa propre analyse.
Il n’est effectivement pas question d’empathie pour l’analyste et donc pas question d’éprouver les mêmes émotions (si tant est que cela eût été possible) que celui à qu’il a affaire. Cependant, nous ne pouvons affirmer qu’il ne peut pas avoir de « complexes » surtout si ce terme nous renvoie au: « complexe de castration », « complexe d’Oedipe » etc. POLITZER reconnaitra la valeur de ces complexes, dans ce même ouvrage. C’est un des rares endroit où il accepte la possibilité d’une théorie commune, applicable à tous. Seulement, il se montre convaincu que l’analyse permettrait de se laver de tout complexe. Ce n’est certainement pas le cas et c’est en quoi aucune analyse ne saurait faire l’illusion d’analyse didactique.
Seul, le sujet concerné par sa propre analyse pourra reconnaitre ce qui, par le biais de ses complexes, lui voilait la face sur sa structuration de sujet, elle-même caractérisée par ces complexes.
Toujours est-il que toute tentative d’introspection reste de l’ordre du « primitif », comme le dit Politzer, car cela implique l’abstraction dès qu’il s’agit de faits psychiques. Si des sensations internes physiologiques telles la douleur peuvent faire l’objet d’introspection, il n’en n’est rien du fait psychique: justement parce qu’il ne saurait être autre que subjectif.
« Le psychanalyste (…) veut prolonger l’attitude de la vie courante jusqu’au moment où elle atteint la psychologie concrète; il cherche non pas à transformer en « réalités » le plan de significations, mais à l’approfondir pour retrouver, au fond des significations collectives conventionnelles, les significations individuelles, qui n’entrent plus dans la téléologie ordinaire des relations sociales… »
POLITZER déplore le « réalisme naïf » de la « psychologie classique » laquelle se « libère (…) difficilement des exigences sociales. »
Il rappelle que Freud a « eu toutes les peines du monde à faire admettre la sexualité infantile (…) précisément parce que médecins et psychologues n’ont voulu voir dans l’enfant que ce qu’il doit être d’après certaines représentations collectives bien connues ».
Aujourd’hui encore, je tends l’oreille vers ceux qui pourraient reconnaitre la sexualité infantile plutôt que de verser dans une causalité classique réduisant à des faits réels, dits « traumatiques », ce qui ressort pourtant de la causalité psychique.
Nous avons, par exemple, entendu des enfants et des parents judiciarisés sur le constat de conduites exhibitionnistes à l’école. De nombreux praticiens se réclamant de la psychanalyse versent également dans ce type de causalité, déniant momentanément les théories freudiennes auxquels ils prétendent adhérer. Au contraire, devons-nous être particulièrement sensibles à ce qui, dans le discours du sujet, fait état de la sexualité au cœur de l’existence psychique laquelle ne saurait être envisagée sans le désir de l’Autre…
Ce qui ressort de la sexualité pour le sujet, parle de sa propre relation à ce qui se manifeste comme manque ou comme désir de l’Autre, à différencier du besoin. Si la masturbation, le voyeurisme ou autres tentations indicibles restent masquées c’est qu’elles témoignent de la perversion de la pulsion, c’est-à-dire: d’une façon de faire avec ce désir insatiable qui relève davantage de la tromperie (dans la mesure où le pulsionnel est traité comme un besoin) que de la reconnaissance de sa condition (de sujet divisé; sujet de l’inconscient).
Politzer parle de toutes ces « significations » qui nous sont données par « l’expérience collective » à l’exception de la « signification individuelle ». C’est précisément cette dernière que vise l’association libre et le travail d’interprétation.
Politzer ajoute qu’en analyse se laissent entendre des expériences « secrètes », ou encore des « significations intimes ».
Peut-être pourrions-nous ajouter que l’analyse participe à lever le caractère « secret » de certaines représentations, du moins à les dé-sexualiser au sens où elles avaient pris place de substituts d’objets cause du désir, au point que le sujet s’y trompait sur son sort.
N’est-ce pas l’objet de l’analyse que d’aider celui qui y cause, à se défaire de ses vieilles prétentions narcissisantes? Celles qui motivent des discours trompeurs tels celui du névrosé qui dit tenir un secret en réserve dont il ne saurait nous faire part pour l’instant. Sur ce point, nous pouvons prendre appui sur l’exemple lacanien de la « belle bouchère » qui tient en réserve le caviar que son mari ne ferait qu’avaler trop vite face à elle qui préfère maintenir son désir en haleine… Ce que le névrosé veut qu’on lui demande c’est une demande, soutient Lacan.
Le névrosé joue avec le désir, notamment par le biais des identifications aux objets de l’ordre social (bon élève, bon maître, porteurs du bon discours tamponné « certifié » conforme, etc.)
L’analyste tient position de laisser passer ces savoirs conventionnels des « exigences sociales »; ceux dont se sera saisi l’analysant afin d’incarner l’objet du désir. Lacan pointe comme issue à la cure analytique (analyse de transfert), l’épuisement jusqu’à leurs termes de toutes les formes de la demande (dans la mesure où elles auront été passées).
Critique de la structure psychique et du concept de l’inconscient.
Politzer valorise, dans la démarche freudienne, un renoncement à la « dialectique conventionnelle » laissant place à une « dialectique et une intention » « originales et intimes ». Il ajoute: « La pensée (…) continue à avoir une signification (…) Elle a donc une structure, alors même qu’elle semble avoir renoncé à toute structure ».
Politzer considère que pour le psychanalyste, « les hypothèses de structures lui sont défendues. Il n’a pas le droit, vu le caractère de son attitude, de chercher des mécanismes, car (…) c’est vers une psychologie sans vie intérieure que nous oriente la psychanalyse ».
On trouve, sur ce point, ce qui constitue le désaccord majeur de Politzer avec les hypothèses freudiennes. On peut même parler d’un certain malentendu.
En effet de quelle « structure » est-il question pour l’un et pour l’autre?
Politzer défend avec insistance la singularité du récit face à toutes communes mesures. Peut-on, pour autant, se passer de schéma structural?
Après Lacan, Levi-Strauss, Deleuze (et autres théoriciens des années 60), ne pas considérer le psychisme comme une structure (« L’inconscient est structuré comme un langage ») reviendrait à se voiler la face.
Politzer reproche à Freud de s’exprimer dans « un langage qui fait disparaître le concret »: « Il n’est plus question de l’action humaine, individuelle; le mot acte a précisément perdu un sens dramatique et humain ». Ce, lorsque Freud parle de « motilité », par exemple. Il ne se différencierait alors plus du physiologiste, substituant « un drame impersonnel au drame concret »: « En effet, aucune réalité psychologique ne peut être reconnue au « déplacement des « intensités psychiques » ou à la « désagrégation de la pensée », car les processus en question sont des processus en troisième personne: l’explication va « de la chose à la chose » ».
Politzer voit, dans ces concepts freudiens un retour aux anciennes conceptions de la psychologie classique, comme si Freud se « sentait obligé » d’y faire retour, afin de se faire entendre de ses prédécesseurs.
Reprenons d’abord cette question de « structure » et de « dialectique ». Il apparait certainement plus évident aujourd’hui que ce qui fait structure et point commun pour chaque sujet relève de la différenciation de chacun d’avec les autres.
C’est dire que ce qui nous rassemble le plus, et qui nous permet de soutenir les autres avec bienveillance est ce que nous nous coltinons tous: cette solitude et cet écart à l’Autre.
La voilà la dialectique psychanalytique: Je/Autre, intension/extension, récursivité/prédicativité.
Cela revient à rappeler qu’il ne saurait y avoir de construction singulière sans emprunt au pot commun des sujets, dont la loi symbolique qui les sépare et les rassemble constitue une part essentielle.
De la même façon, Politzer déplore une des hypothèses majeurs de la Traumadeutung: le rêve comme réalisation de désir.
En effet, cette hypothèse ferait la part belle à la psychologie abstraite, dans la mesure où ce fameux désir « nait du besoin organique », selon la lecture politzerienne.
Il nous faut revenir à la théorie freudienne de la pulsion. N’omettons pas la construction théorique freudienne, prenant son point de départ dans ce principe de plaisir qui consisterait à diminuer au maximum les excitations, comme on le ferait par l’évitement des excitations externes.
Freud prend appui sur la logique du besoin pour expliquer celle de la pulsion avant de l’en différencier. Il ne s’agit plus d’excitations externes à éviter mais d’une excitation interne, continue. La pulsion ne reste accessible que par ses « buts » disait Freud. C’est dire que l’on ne saurait s’en saisir. Elle apparait par-ci par-là, en extension –peut-on aujourd’hui affirmer.
Prenons ce recul nécessaire: La Traumadeutung est éditée en 1905. Forts de l’issue de l’élaboration théorique freudienne, nous pouvons pointer certaines contradictions dans le discours freudien de 1905.
D’abord, cette histoire de « déplacement des intensités psychiques »… Le schéma freudien de l’affect séparé de la représentation apparait trop formaliste: comme si une représentation donnée faisait couple avec un affect donné et que sous l’influence de je-ne-sais-quel traumatisme, l’un et l’autre se séparaient comme les deux membres d’un couple en mésentente.
Biensûr, cela se révèle plus complexe. D’où la proposition progressive d’une écriture structuraliste… Ecriture, qui, je le soutiens, doit se poursuivre sous nos plumes à nous, analystes d’aujourd’hui.
Sur la question de la réalisation de désir comme contenu latent du rêve, que peut-on dire? Qu’au départ, les interprétations freudiennes semblent venir comme celles des interprétations formalistes de dessin que fera Dolto (pour ne citer qu’elle) quelques décennies plus tard. Oserais-je dire: comme l’interprétation des cartes par Mme Irma?
Non, sérieusement… Si à la première lecture de certains écrits freudiens (je pense aux cinq psychanalyse, compilées par l’éditeur), ses interprétations sembleraient tout droit sorties d’un chapeau -le sien- c’est que nous n’aurions pas prêté attention aux nombreuses précautions prises par ce dernier pour signifier qu’elles sont l’aboutissement de nombreuses séances d’analyse et d’associations libres des contenus manifestes de l’analysant.
Il me semble que dans la Traumadeutung apparaissent encore quelques tentatives d’interprétations généralisantes telles: « pertes des dents = perte de pouvoir »… Raccourcis que nous ne trouverons plus dans les écrits ultérieurs à cette période de la naissance de la psychanalyse.
Alors ce désir dont il est question ne correspond-il pas uniquement aux formalisations de désirs singuliers? Non, ces formalisations correspondent à différentes expressions du désir qui anime la vie psychique, dans la mesure où il ne saurait exister de sujet autre que sujet du désir; sujet de la pulsion.
Dès que Freud parle de pulsion (également en 1905 – Pulsion et destin des pulsions), il ne peut plus être question « d’orientation biologique du discours freudien », comme le dénonce Politzer. Bien au contraire, il s’agit de signifier que le sujet parlant correspond à la subversion du corps par le langage.
Ce que l’on peut encore accorder à Politzer -et Freud aura revu sa copie sur ce point- c’est la détermination de Freud a parler en termes de systèmes, comme si l’appareil psychique fonctionnait comme une mécanique où chaque élément aurait à passer des frontières déterminées, avant de se retrouver cantonné à telle ou telle zone du psychisme. Parmi ces zones, il y a « l’inconscient »; concept vis-à-vis duquel Politzer se montre particulièrement critique: « l’inconscient » ne saurait constituer la nouveauté, l’originalité de la psychanalyse. Pire: il ne s’agirait là que d’un concept abstrait: « en un sens, l’inconscient ne représente dans la psychanalyse que la mesure de l’abstraction qui survit à l’intérieur de la psychologie concrète. » Aussi, déplore-t-il que l’inconscient soit considéré par certains comme une « constatation » plutôt que comme une « hypothèse ».
Soyons lucides: la critique de Politzer est encore actuelle concernant l’usage que certains font de ce concept: notamment pour jouer de leur ignorance… D’abord, il n’y a pas « d’inconscient-caverne », lieu de tous les secrets enfouis du sujet, qu’il suffirait que ce dernier aille chercher dans je ne sais quelle profondeur. Par ailleurs, il n’y a pas « d’inconscient collectif », n’en déplaise aux jungiens dont on se demande encore comment ils arrivent à croire ce qu’ils racontent.
Non, l’inconscient freudien -au sens où il constitue la « chose freudienne » (si chère à ceux de l’aeCF)- correspond à ce qui « ne cesse pas de s’écrire » et à « ce qui cesse de ne pas s’écrire » (le nécessaire et le contingent, ainsi désignés par Lacan). C’est dire qu’au contraire de se trouver planqué, l’inconscient ne cesse de se manifester et ce sont ses effets qui nous sont perceptibles sous les traits des symptômes et autres actes manqués, traits d’esprit, etc.
S’il y a de l’inconscient c’est que, de se trouver sujet ($), celui-ci ne saurait assumer d’une traite tout (désirs contradictoires, et identités multiples non assimilables). C’est de reconnaitre le féminin qui le fait pas-tout qui permet à chacun d’entendre ce qui surgit sans prévenir et qui le concerne malgré lui; comme une-bévue. Et nous savons que l’inconscient n’est pas sans rapport à l’amour en ce que cela implique le sujet dans le désir de l’Autre. Nous retrouvons le désir qui se fait entendre autre-ment; par les voies oniriques notamment.
Politzer n’a certainement pas donné une place centrale à la Traumdeutung, par hasard. Freud, lui-même, l’avait présenté comme un outil majeur pour la compréhension de la psychanalyse, au moment de son édition.
Avec l’étude des rêves, Freud a trouvé des arguments concrets, témoignant de la véracité de l’hypothèse de l’inconscient et d’une existence psychique équivalant à une fiction sans cesse écrite puis mise en acte réellement.
Le sujet n’est pas juste vivant; il existe.
Benoit LAURIE (avril 2017)