Il s’agit là d’un document de travail servant d’abord à la discussion entre les participants aux séances du séminaire. Il peut aussi susciter des réactions et des remarques de la part d’autres lecteurs, dont les contributions sont vivement souhaitées et encouragées.
« De même qu’est ce que la P.I ? C’est la psychiatrie. C’est simplement un accident de l’avoir appelée P.I. Ça se pratiquait depuis tout le temps dans certains domaines » (J. OURY « IL, DONC ». Ed Matrice 1998. P.20)
« Je dis souvent que ce qui est à sauver ce n’est pas la psychanalyse, elle a bonne mine, mais la psychiatrie. Faut voir ce qu’on en a fait. » (Ibid. P.136)
« On me demande souvent : qu’est ce que la P.I ? C’est avant tout une technique pour lutter et faire disparaître les quartiers d’agités, qui a fait ses preuves à St-Alban et ailleurs. Et c’est tout ». (Ibid. P.212)
« Les électrochocs…c’est quand même un traitement extraordinaire des dépressions etc.. Parce que les antidépresseurs, il y a des limites. » (Ibid. P. 137)
Si l’aliénisme procède d’une lecture « objective » et réifiée des symptômes, peut-il se référer au marxisme en tant que théorie éclairant les processus d’aliénation sociale et économique, relatifs au système d’exploitation capitaliste ? Autrement dit, l’aliénisme est-il compatible, conciliable avec le marxisme, au sens où celui-ci cesse d’être une idéologie qui lui soustrait son riche potentiel dialectique, dont le créationnisme conforte sur le plan structural la position féminine, corrélative du Nom du Père et renforçatrice de l’ex nihilo ? Sous quels dehors ce créationnisme peut-il apparaître, sachant que toute innovation est inséparable d’un discours ? Si LACAN a réussi à faire « commarx », montrant par là leur identité de conception de la structure, il reste beaucoup à faire pour restituer au vide – révélé et mis en jeu dans l’échange- sa fonction de levée de voile sur tout ce qui est considéré comme mystérieux chez les « parlêtres », et qui n’est rien d’autre que l’indicible réel, contenu et porté par toute réalité, qui le met ainsi au jour. C’est d’ailleurs cet aspect essentiel de la structure qui suscite tant de haine chez les êtres parlants, qui voient de ce fait leur toute-puissance et leur maîtrise compromises.
D’autre part, en quoi l’aliénation sociale, certes inévitable mais fort dépendante de la place octroyée et occupée, par chacun, dans les rapports sociaux, renforce-t-elle ou bien atténue-t-elle l’aliénation mentale, au sens psychiatrique du terme?
Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de s’entendre sur les termes utilisés. Pour moi, l’aliénisme est représenté par toutes les théories et les pratiques, demeurées engluées dans des conceptions médico-psychologiques, qui, tout en usant de la rhétorique freudienne, identifient des troubles et des perturbations de la condition subjective à des maladies, faisant en vérité fi de la valeur épistémologique des concepts psychanalytiques. En effet, ce seul recours s’avère insuffisant, puisque très souvent, les concepts freudiens et/ou lacaniens se voient soumis et inféodés aux fondements théoriques, constitutifs du discours médical, qui récuse toute référence au signifiant, même s’il ne peut réellement s’en passer. Ainsi, le « ni ..ni » spécifie l’aliénation signifiante chez LACAN, met en jeu l’entre-deux et la littoralité, qui soutiennent et sous-tendent le « pas-tout » en tant qu’il confirme le ratage de toute unité, qu’elle se résume à soi tout seul (autisme)ou bien à deux (amour), voire à plusieurs(groupe). Cette aliénation essentielle est congruente du rapport dialectique noué entre être et avoir, grâce à l’omniprésence du non-être, dont les différentes manifestations ne cessent pas de mettre au jour le « manque à être ». Aussi le ratage favorise-t-il le « parêtre » du « parlêtre », à savoir le semblant, qui s’avère nécessaire à l’advenue du sujet en tant qu’il récuse désormais toute idée d’homéostasie. Le défaut d’homéostasie inhérent à l’inconscient, est renforcé par l’altérité qu’il comporte, et qui met le moi en difficulté dès lors qu’il la considère comme une émanation provenant d’un lieu étrange et étranger, qu’il refuse d’admettre et qui lui est pourtant si familier, et indispensable. D’ailleurs, l’aliénation sociale ne s’y trompe pas : elle met tout en place pour rejeter cette altérité, sous prétexte qu’elle aliène la liberté du moi et porte atteinte à son intégrité, au point de déclencher certaines « maladies ».
Quant au marxisme, malgré sa réussite à mettre au jour la vérité du système capitaliste, en montrant le pillage illégitime mais légal de la plus value, issue de l’exploitation et de la surexploitation de la force de travail( des corps), qui plus est, avec l’assentiment de ceux qui se croient « libres » de la vendre, pour vivre, alors que bien souvent, ils ne font que survivre, il s’est dégradé, depuis le léninisme et surtout le stalinisme, en une idéologie qui a ruiné la richesse dialectique de l’œuvre de MARX, et l’a ravalée à une conception « scientifique »,voire religieuse de type humaniste, d’autant plus banale et erronée qu’elle a été utilisée pour répéter à satiété qu’elle détenait « les clés » d’une suture idéale de la béance structurale des hommes (au sens générique), par la « simple » réappropriation, quasi « mécanique » de la plus-value. L’expérience des pays dits socialistes, sous la férule de l’URSS, n’a pas encore été sérieusement analysée, notamment les questions soulevées par les rapports entre le travail, le salariat et la plus- value, et leurs liens avec la politique décidée par les Etats. Il suffit de voir de nos jours tout ce foisonnement de modèles économiques dits « modernes », comme Uber et le Low Cost, destinés en fait à dissimuler de manière encore plus perverse le système d’exploitation capitaliste, à la grande satisfaction des benêts qui croient profiter de leur « liberté » de « consommateurs ». A ces derniers s’agrègent les « illettrés », bien souvent grands clercs des médias et/ou de l’Université, qui organisent le consensus en mettant en avant la pluralité et la diversité, pour mieux récuser en fait la plurivocité, qui ressortit à la structure du signifiant, laquelle plaide plutôt pour le dissensus, d’autant plus qu’il est fondé sur la signifiance et le sens du vide qui la caractérise. La « littoralité » dialectise et noue grâce à ce vide structural -élevé au rang de quintessence-, qui se maintient et se concrétise à travers un écart irréductible et omniprésent dans n’importe quelle théorisation. La pluralité et la diversité des conceptions qui refoulent et refusent, au nom du consensus, ce défaut inhérent à la structure, se révèlent incapables d’articuler ce qui est différent sur le plan local et ce qui est identique sur le plan global, sans exclusive de part et d’autre. Cette dialectique spécifique de la littoralité n’a rien à voir avec le consensus plus ou moins pervers, qui consiste à privilégier l’unité et à faire échec à l’unarité, corrélative du discord. Elle nous affranchit en fin de compte des oppositions de type hystérique qui renforcent à terme le discours du maître, en répandant les inepties fomentées par la psychologie managériale et fascisante, comme celle qui considère que tous les énoncés se valent, dès lors que chacun possède sa vérité, alors qu’il est possédé par elle en tant qu’elle lui échappe. Dire que les vérités sont multiples n’a pas du tout la même valeur épistémologique que mettre en avant cet aspect essentiel de la vérité, à savoir son échappement irrépressible, qui est au fondement de la pluralité et de la diversité des conceptions, lesquelles en sont définitivement marquées et peuvent en rendre compte, parfois à leur « corps défendant ». Autrement dit, ce n’est pas parce que la signifiance détermine la pluralité des conceptions, que celles-ci la reconnaissent en tant que telle, d’autant qu’elle reste toujours implicite, dissimulée derrière les concrétisations qu’elle génère et autorise. L’hétéros procède donc de cette source inépuisable qu’est l’échappement, qui met en œuvre du vide pour fonder et construire ce qui le concrétise et le dissimule en même temps. Ainsi, le signifié reste tout le temps hors de portée, et toute prétention à sa maîtrise est vouée à l’échec, rendant ainsi caduc tout consensus, qui accentue l’aliénation sociale par la mise en échec de la signifiance. Ceci n’est pas sans écho quant à ce que la psychopathologie appelle « l’aliénation mentale » : celle-ci et celle-là partagent la même logique bilatère. Elles se coalisent pour résister au désir et à sa loi constitutive, qui les transgresse, et qu’elles interprètent comme un stigmate, portant atteinte à l’harmonie convoitée, au service de laquelle des « psy » veillent en diffusant un savoir tout-puissant de méconnaissance quant à ce qui spécifie par exemple, la fonction de l’objet du fantasme et celle du désir.
Les élaborations, aussi respectueuses soient-elles du signifiant et de sa logique, peuvent, à tout moment de leur développement, s’avérer évidables. Elles montrent ainsi qu’elles peuvent oublier et refouler ce qu’elles ont pu respecter initialement. Et leur évidement atténue l’illusion conjonctive ou prédicative du fantasme, mobilisé par le savoir auquel elles font appel. Il rend possible par là même la « réanimation » de la signifiance en s’appuyant sur la plurivocité et l’équivocité qu’elles ne peuvent supprimer. Si celles-ci confirment la signifiance, ce n’est pas forcément le cas de la pluralité, qui, elle, peut réunir et associer diverses tentatives dans le but de s’opposer et de récuser le primat du signifiant, même si elles en sont tributaires.
Toute idéologie humaniste hypostasie le signifiant, dont la mise en jeu est concrètement élucidée par MARX à travers la fonction de l’échange. Le processus impliqué par cette fonction, inclut les valeurs afférentes aussi bien à l’usage qu’à l’échange en tant que tel, qui fait écho au manque et à sa résolution à travers l’organisation de rapports sociaux de production, qui visent à dissimuler le procès d’exploitation des corps pour qu’ils « donnent toujours plus » au capitaliste, garantissant ainsi sa jouissance phallique, alors que le prolétaire est censé se satisfaire de sa condition, qui consiste à être totalement asservi à ce dernier, lequel lui offre la possibilité et la chance d’utiliser son corps en lui laissant accroire que sa « servitude volontaire » fait partie de l’affirmation de sa liberté et de sa souveraineté moïque ( aspects sado-masochistes des rapports sociaux capitalistes) . L’aliénation sociale conforte le moi contre le sujet ! Elle s’appuie et met en œuvre des théories médico-psychologiques et sociologiques qui pervertissent la division subjective en tant qu’elle promeut une dialectique de la mise en continuité entre des oppositions, fondée, non sur un consensus, mais sur le signifiant et le « discord » qu’il entretient, afin d’éviter des clivages irréductibles, rappelant la spaltung psychotique.
La « désidéologisation » du marxisme n’a pas été acceptée par les organisations partisanes (les partis communistes en général, structurés en appareil(s) idéologique(s) d’Etat), qui continuent à faire illusion quant au projet d’en finir avec le défaut structural, tout en aggravant les méfaits de l’aliénation sociale. Elle a été inaugurée grâce à des lectures inédites, provenant d’intellectuels, proches ou non de partis se réclamant de MARX. Ainsi, en France, au moment où LACAN faisait un retour à FREUD, et mettait en évidence l’apport de MARX, ALTHUSSER entamait un travail de relecture de ce dernier. Aussi, un des enjeux majeurs de ces lectures, consistait-il à mettre en lumière l’importance de la rupture épistémologique opérée par MARX par rapport à l’humanisme – dont on l’avait surchargé auparavant, pour le ravaler au rang d’une idéologie-, et partant de montrer comment sa méthode de lecture des rapports d’exploitation capitaliste s’appuyait sur une conception de la structure, qui s’avérait fondamentalement identique à celle de FREUD, en tant qu’elle s’établit sur un défaut, fondateur de l’échange et de ses diverses modalités. En d’autres termes, la 6ème thèse de MARX sur FEUERBACH, dans « L’idéologie allemande », rejoint la théorie du sujet freudien : au décentrement de l’homme et à la démystification de l’idéalisme de la « nature humaine » proposé par MARX, fait écho à la remarque de FREUD, qui note que le « moi n’est plus maître en sa demeure ».
Le marxisme soutient les revendications qui remettent en cause le système d’exploitation que le capitaliste met en œuvre subtilement, en masquant sa nature profonde, grâce à des idéologies qui légitiment la plus-value produite par des corps « machinisés », objectivés et « marchandisés », exploitables, d’autant plus qu’ils expriment la liberté de ceux qui en sont les propriétaires. Le moi, enfermé dans sa fétichisation du bilatère, devient un allié d’importance pour toutes les conceptions qui excluent l’inconscient et le sujet, réalisant ainsi le vœu et les objectifs du discours capitaliste. D’autant que cette mise à l’écart de l’inconscient consolide l’humanisme du capitalisme en tant qu’il fait miroiter le progrès à travers l’acquisition d’objets et d’attributs imaginaires (nationalisme obtus et exacerbé), qui renforce la composante incestueuse de demandes, lesquelles ne remettent pas en cause l’accaparement de la plus-value par les capitalistes, mais se réduisent à des revendications d’augmentation de la quantité d’objets, de plus en plus nombreux, sophistiqués et fétichisés, qu’offre ce système, tellement prolifique et tellement ingénieux qu’il fait oublier son fondement principal, et dont les «esclaves » et autres asservis ne peuvent être que fiers. La légitimité sociale de ces revendications, partagées par des majorités de personnes, soucieuses de leur moi, contribue à développer des conceptions idéologiques, qui finissent par aggraver la transgression de l’interdit structural, lequel n’admet aucune obturation. La confusion objectale est à son comble : le désir, fondé sur la béance inhérente à l’interdit, est confondu avec l’appétence pour une appropriation objectale pléthorique, à visée obturatrice. Elle indique le degré d’aliénation sociale, acceptée et soutenue par tous ceux qui partagent l’illusion que le discours capitaliste « défend » la démocratie, au point de l’identifier à elle, pour éliminer tout ce qui a trait à la dépendance du signifiant et à son primat, qui bat en brèche le réalisme, cette escroquerie intellectuelle qui laisse accroire que ce système d’exploitation ressortit à « la nature des choses », à l’ordre « naturel » des choses.
L’interdit assure la fonction d’échange à partir du manque à être de chacun et de tous, quelle que soit la place qu’ils occupent dans les rapports sociaux de production. Produire des objets destinés à devenir des marchandises, à l’image des corps qui les fabriquent, représente l’acmé du rejet de la subjectivité par le capitalisme, qui fait alors de la plus-value l’objet idéal d’obturation de ce manque à être, la promouvant par ailleurs comme ce qui peut se collectiviser grâce au fantasme de chacun. La politique développée par le capitalisme débouche immanquablement, à certains moments de l’histoire des sociétés, à des manifestations perverses de type sadomasochiste, qui, partagées par une grande majorité, ont du mal à se résorber.
Même le marxisme est mis au service de la jouissance phallique, dont la nécessité, associée à l’impossibilité de la réaliser, est remise en cause et bafouée, parfois de façon violente et cruelle. L’outrage imposé à l’interdit, constitutif de la structure, mais confondu avec les limites assignées par l’ordre capitaliste, conduit à des aberrations, qui détruisent la dialectique essentielle du marxisme, en la mettant au même niveau que celle qu’il est censé renverser, en vue de supprimer, du moins atténuer considérablement la réification et l’objectivation mortifères, caractéristiques du capitalisme.
L’aliénisme sert à laisser accroire qu’un certain savoir est capable d’assurer la possibilité d’obturer le défaut structural, déterminé par l’interdit de l’inceste. Il accroît l’aliénation idéologique que le discours capitaliste produit, en solidifiant les conceptions qui objectivent et réifient, comme les théories biologiques, génétiques, constitutionnelles, naturalisantes et essentialisantes, qui visent à réduire à néant la dépendance du signifiant et l’importance vitale de l’ordre symbolique, lesquelles ne relèvent pas de l’environnement, comme le veut la partition classique entre ce qui est inné et ce qui est acquis. Les « malades », victimes de leur constitution, le sont aussi de la société dans laquelle ils vivent. Ce double déterminisme convient bien au marxisme humaniste rudimentaire qui, s’il s’insurge, à raison contre les rapports sociaux de production capitaliste, est en revanche complètement dans l’erreur lorsqu’il confond ces derniers avec des obstacles à la jouissance phallique, dont les malades ne devraient d’aucune façon être privés. Et heureusement que la psychiatrie « progressiste » est là pour leur assurer, contre le capitalisme triomphant, cette jouissance qu’il veut s’accaparer, pour lui tout seul ! Abattre les obstacles qui empêchent la jouissance phallique devient un acte thérapeutique et politique: le malade, victime de sa constitution, doit être protégé contre celle-ci par le discours médical, qui le libère en plus de l’aliénation sociale, en lui faisant recouvrer ses forces et toute sa liberté. Les malades deviennent les témoins de l’épanouissement que leur offre le discours médical/médico-psychologique, qui les enferme en retour dans des conceptions usant de poncifs, comme le recours à la « personnalité » ou à la « structure », entendue comme « constitution bio-psycho-sociale ». Ainsi, en maintenant la suprématie du discours médical, saupoudré de psychanalyse, la P.I « réhabilite » d’une autre manière l’aliénation sociale, distillée par le capitalisme, qui ne veut rien savoir, lui non plus, de l’incomplétude du symbolique. Il y met d’ailleurs le prix en offrant maints privilèges à tous ceux qui participent et contribuent à rejeter l’inconscient, lequel mine ses fondements en mettant au jour la vérité de ses fondements, tel que MARX les a mis en évidence à travers notamment la plus-value, subtilisée par le capitaliste au prolétaire qui la lui concède, tout en adoptant les illusions concernant sa prétendue propre « liberté », que ne cesse de lui seriner l’idéologie dominante, avec toutes ses variantes humanistes.
L’attribut de « malade » convient bien aussi à cette aliénation sociale, exclusive du sujet et de l’altérité, qui atteint l’unité et la totalité de cette constitution en tant qu’elle est un nom de l’être, une sorte de nature, à vocation essentialiste. Quant à la guérison, elle consiste en fait en l’affranchissement de cette tare qu’est la castration, liée à l’incomplétude du symbolique, laquelle est inhérente au « troumatisme », concomitant de l’advenue du parlêtre. L’aliénation sociale « bétonne » l’aliénation mentale en organisant les rapports sociaux sur la base de discours exclusifs de la vérité et de son échappement. Elle met vainement à l’écart le sujet, qui reste nécessaire au moi, et entretient des illusions quant à la liberté et à la souveraineté de celui-ci, en médicalisant et en psychologisant la subjectivité, pour l’adapter aux canons du système capitaliste, qui ne veut rien savoir de l’inconscient, allant jusqu’à appeler à sa rescousse une certaine science aliénée, oublieuse et rejetant son fondement signifiant.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, le D.A est convoqué par le discours médico-psychologique pour combattre le défaut de rapport sexuel qui, au lieu de fonder l’ex-sistence, devient la cause de l’aliénation mentale en tant qu’elle soustrait à l’homme (non au sujet) sa liberté et sa souveraineté, que l’idéologie dominante exploite à merveille, avec la collaboration active du moi, en vue de mieux éliminer toute trace provenant de l’inconscient. Pour l’aliénation sociale, l’altérité soutenue par le non-être représente une altération significative d’une maladie, alors que pour l’aliénation signifiante ou symbolique, cette altérité est d’ordre structural, métaphorisée et mise en scène sous forme de diverses traductions, qui constituent des réalités différentes, fondées sur l’ « l’ab-sens » et l’échappement, salvateurs du sujet. La haine vouée à ce dernier par toutes les formes d’aliénation sociale, qui ne souffrent pas l’inconscient, se retrouve dans l’aliénation mentale et dans les conceptions qui prétendent la libérer, la « guérir » de ce qui la cause : le défaut de rapport sexuel, inouï pour le discours médico-psychologique, lui-même agent de l’aliénation sociale, qui est soucieuse d’hygiène et de prophylaxie mentales pour perpétuer le système d’exploitation, avec l’assentiment du plus grand nombre.
La subversion du rapport du sujet et de l’objet tel que l’élabore le D.A représente la pierre angulaire de toute théorie qui vise à remettre en question le système d’exploitation capitaliste en tant qu’il forclot le sujet et réifie l’objet de telle sorte que le besoin supplante définitivement le désir. L’objectalité capitaliste, appuyée par ses méthodes de réification prétendument scientifiques, renforce la « psychose sociale » et multiplie les cohortes de ceux qui, atteints par la « folie de guérir », n’ont de cesse que d’aggraver la réification, propre à l’aliénation sociale, issue du système d’exploitation, et partant d’objectiver des troubles et des manifestations pour les référer à un savoir dont la logique réificationnelle est fondamentalement identique à celle qui est à l’œuvre dans le système capitaliste : la psychologie et la psychiatrie ont encore de beaux jours devant elles, d’autant qu’il faut de plus en plus d’artifices idéologiques, d’apparence scientifique, pour « avaler aussi bien la pilule que les couleuvres », issues d’un système dont le lent et long dépérissement, s’accompagne d’une férocité mortifère.
L’aliénisme, promouvant la suprématie du discours médical et de l’ordre causal qui le spécifie, exclut l’aliénation inhérente au primat du signifiant, et se limite à une logique qui correspond à celle qui est mise en œuvre dans les rapports sociaux. Il ne saurait élucider la subjectivité et tous ses avatars, sans passer par une subversion radicale de ce qu’il appelle : aliénation mentale. Le D.A ne doit pas servir de « cerise sur le gâteau » de l’aliénisme, qui cherche à sauver et à préserver sa logique en y faisant simplement et facilement recours. Il en est de même pour le marxisme. Tous deux sont appelés comme « supplétifs » de la psychiatrie qui porte alors un autre nom : la P.I. Mais même si elle emprunte des concepts à l’un et à l’autre, pour parfaire son caractère humaniste, en quoi les fondements théoriques de la psychiatrie, comme discours médical, en sont-ils affectés voire métamorphosés, au point que l’individu, la personne, conçus tous deux comme une entité, cèdent le pas au sujet ?
La psychopathologie classique, même si elle est enjolivée de quelques concepts aux relents analytiques, reste arrimée à la conception classique dominante, dont la logique détermine la lecture des symptômes en termes de signes, exclusifs du signifiant, et partant de l’inconscient.
La résistance contre l’inconscient, fomentée par l’aliénation sociale, est renforcée par le discours médico-psychologique qui, tout en mettant en avant la notion d’aliénation mentale, rend bien troubles, voire obscurs, ses déterminations et sa causalité. L’éclectisme pragmatique dont ce discours se pare, sert à repousser la radicalité de l’enracinement dans l’incomplétude du symbolique, qui s’avère irréversible, faisant ainsi échec aux contorsions intellectuelles et conceptuelles, dont le but consiste à refuser l’inconscient et l’altérité qui l’accompagne. Face aux effets désastreux de la décadence sociale du capitalisme, et de son discours, qui « se refait toujours une santé » grâce aux stratagèmes de dissimulation de sa véritable nature, la psychologisation outrancière, appuyée sur la « servitude volontaire », de type sadomasochiste, a un bel avenir pour consolider l’aliénation sociale, qui refoule voire forclot la vérité de la plus-value en tant qu’elle procède de l’exploitation « moderne » de la « force de travail » physique et/ou intellectuelle.
La « folie de guérir », entretenue par le savoir et le discours médico-psychologiques –bien souvent mis au service de l’aliénation sociale- adjoint le D.A sans hésitation ni souci épistémologiques d’aucune sorte. Aussi, évider cette « folie » durant sa cure, fait-il partie intégrante de l’éthique de ce dernier. L’acte « thérapeutique » est un acte qui finit par bouleverser la conception courante de l’amour : il apporte une perte qui assure un gain. Il libère de la promesse incestueuse, qu’elle soit explicite et/ou implicite, pour accorder au Père toute sa place, laquelle préserve le désir et son objet, qui ne sert en définitive qu’à illustrer et confirmer le ratage, nécessaire à sa pérennité. Le bon objet, pas plus que le mauvais objet, -et quel que soit le renfort du savoir médico-psychologique- ne viendra jamais à bout du ratage imposé par la structure, qui procède de la « dénaturation » irréversible du corps par le langage, et plus précisément par l’incomplétude du symbolique. A celle-ci, le D.U (discours universitaire) est farouchement hostile. Féru de credo(s) qu’il ressasse sans cesse, il met en œuvre la syntonie de « maîtres d’école », distributeurs de bons points et de reconnaissance institutionnelle, en vue de garantir des carrières, consistant à répéter et à ânonner une « soupe idéologique », bien assimilée, d’autant plus qu’elle est servie par des médecins, alors que lesdits maîtres, leurs affidés et leurs supplétifs ne le sont point. Les « lacaniens d’Etat » et ceux qui sont « reconnus d’utilité publique » offrent sans coup férir (mieux vaut en rire !) leur allégeance au système capitaliste, qui le leur rend bien, en les aliénant de façon telle qu’ils vont devenir progressivement les fossoyeurs choyés et attitrés du D.A. Ils apportent activement leur contribution à l’obscénité, caractéristique de ce système, qui impose des idéologies amalgamant les normes qu’il produit avec les contraintes et limites propres à la structure subjective, dans le but de forclore le ratage, inhérent au signifiant.
L’inhibition, voire la sclérose intellectuelles qui minent le D.A, poussent l’ontologie à son comble : la prédicativité est assurée alors par le groupe qui renforce l’infatuation moïque de chacun, et gonfle à bloc la passion de l’amour du même, c’est à dire de l’inceste endogamique. Le rapport entre la métonymie et le non-être devient inaccessible et complètement impensé car trop théorique, diront « les réalistes », trop empiristes et pragmatiques, pour se donner les moyens d’accéder et de tenir compte de la logique spécifique de l’inconscient, compromettante et menaçante pour l’hégémonie de la débilité ambiante. S’affranchir de cette dernière exige de travailler durement pour parvenir à formuler le plus précisément possible des problématiques, éclairées par des concepts de plus en plus explicites, libérés de tout fardeau idéologique, qui « torpille » à terme le D.A. C’est ainsi qu’il devient possible de faire de la science, en n’obturant d’aucune façon le défaut structural, qui fonde et étaie sans cesse le sujet. Le vide, centre de gravité du « parlêtre », se décline de multiples façons à travers le « manque à être » qu’il traduit concrètement, à travers des objets que le désir repère pour tenir et maintenir la vie, et nourrir une « ex-sistence », comprenant l’altérité qui la constitue, au point d’abandonner définitivement l’illusion qu’un signifiant peut se signifier lui-même. L’aliénation sociale, aux côtés du moi, récuse catégoriquement le principe de non-identité à soi et n’hésite pas à s’appuyer sur les pouvoirs d’idéologies dominantes pour conforter les illusions moïques et préparer les conditions d’apparition de nombreux symptômes en tant qu’ils révèlent le rejet de tout ce qui a trait à la division du sujet et à la négation qui la soutient.
L’obscénité humaniste se manifeste au grand jour à travers les projets idéologico-politiques promouvant un « homme nouveau », programmé pour éradiquer le ratage inhérent à l’inconscient, comme l’a envisagé le nazisme, dont le totalitarisme mortifère est fondamentalement différent de celui de l’URSS et de ses anciens acolytes, même s’il comporte quelques analogies. Elle représente une des issues de l’aliénation sociale dans sa lutte contre le défaut de rapport sexuel, dont chacun témoigne pourtant, à travers son « ex-sistence », quelles que soient ses croyances et ses adhésions aux conceptions humanistes, lesquelles ont tendance à voiler et à dissimuler l’obscénité de la réification fétichiste. Faire accroire que le défaut de rapport sexuel sera un jour vaincu par la science, revient à nier que celle-ci ne se développe que sur la base du signifiant et de sa structure, qui contrevient à un tel projet totalitaire, nourrissant et renforçant l’aliénation sociale. Quant à l’aliénation mentale, elle participe, à sa manière, à cette exclusion du défaut, corrélatif et congruent du vide, qui transcende par son échappement, toute idéologie, ayant pour visée de le maîtriser et de le « d’hommestiquer ». Elle cherche à faire échec à la féminité qui permet de s’affranchir de l’obscénité et de la lâcheté des conceptions réifiantes, autour desquelles, par ailleurs se « négocient » des consensus, destinés à anéantir tout « discord », renvoyant à l‘incomplétude du symbolique, mise en œuvre et concrétisée par la fonction signifiante. L’insaisissabilité du signifié favorise le dissensus en tant qu’il met en évidence le discord essentiel, lié au signifiant. Elle n’a pas à servir de prétexte pour une compétition acharnée entre constructions différentes, vouées à en finir avec le « défaut de rapport sexuel ».
Sans se résigner à devenir une victime du système capitaliste, il ne s’agit pas non plus d’en devenir un soutien, parce qu’on a réussi à se protéger, un temps, contre ses avanies, souvent «diluées» dans des conceptions humanistes, séduisantes et attrayantes pour le moi, qui peut en devenir vite captif. Critiquer celles-ci, c’est à dire les évider revient à leur restituer ce fond(s) qui leur échappe et dont elles témoignent, malgré leurs objectifs affichés. Ranimer ce fondement favorise la création de nouvelles théories plus solides, dans le sens où elles ne risquent pas de se dégrader trop rapidement en symptôme(s), révélant l’impact de l’aliénation sociale sur le manque à être. Ce lest de tout un chacun, est susceptible de le lâcher à tout moment, selon les impératifs surmoïques,(aliénation sociale) adéquats aux commandements du moi, lequel ne cesse pas de nourrir sa propre paranoïa, et de se compromettre en mettant en danger sa propre ex-sistence, faute d’admettre le sujet, qui impose l’aliénation signifiante et la castration symbolique, grâce à des symptômes, dont la structure – parce qu’elle ressortit à la subjectivité -, rend caduques, voire ineptes leurs lectures en termes d’aliénation mentale.
Amîn HADJ-MOURI
27/12/16