« Le trauma colonial-enquête sur les effets psychiques et politiques de l’offense coloniale en Algérie » de Karima LAZALI – Critique de l’ouvrage par A.HADJ-MOURI

Les « visages jaunis »* des « non dupes » (de l’inconscient), sont insensibles à la pudeur et à la retenue, ou (Ashab elhaff katlouna : les adeptes de l’enfumage nous ont tués !)

 

 

« La psychanalyse a un poids dans l’histoire. S’il y a des choses qui appartiennent à l’histoire, ce sont des choses de l’ordre de la psychanalyse….Ce qui ne peut être certifié par l’écrit ne peut être considéré comme de l’histoire.» (LACAN. Scilicet 6/7)

« Le trauma s’implique dans le symptôme selon le Nachtäglich, l’après-coup » (LACAN. Ecrits)

« Nul sujet ne peut être cause de soi » (LACAN. Ecrits)

« La cause dans le sujet, c’est le signifiant. »(LACAN. Ecrits)

«La structure c’est le réel qui se fait jour dans le langage….C’est l’asphérique recelé dans l’articulation langagière en tant qu’un effet de sujet s’en saisit.» (LACAN. L’étourdit)

« Nul langage ne saurait dire le vrai sur le vrai »( LACAN. Ecrits)

« Il n’y a pas d’autre résistance l’analyse que celle de l’analyste lui-même. » (LACAN. Ecrits)

« Utiliser à propos des choses le verbe « être » pris isolément serait trompeur, car cela inciterait à leur prêter une sorte de sempiternité substantielle. » (Michel BITBOL. Maintenant la finitude. Peut-on penser l’absolu ?)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il faut rendre un vibrant hommage à Karima LAZALI, « triple-psy » (psychologue clinicienne, psychothérapeute, psychanalyste, autrement-dit psy « multi-cartes »), de nous avoir offert un ouvrage : « le trauma colonial-enquête sur les effets psychiques et politiques de l’offense coloniale en Algérie » – Editions Koukou.2018.

Grâce à son argumentation et à ses constructions, nourries d’ une grande érudition, elle s’inscrit indiscutablement dans le discours universitaire, et nous permet de comprendre comment ce lien social réussit à entretenir une grave confusion[1] entre savoir et vérité. Le discours analytique, lui, caractérise et définit la vérité comme ce qui échappe au savoir lui-même, en développant ainsi une « fuite », qui met en évidence l’ impossible qu’ elle engendre, et sur lequel butent et achoppent toutes les spéculations, qui nient par là même leur fondement signifiant. Cet échappement de la vérité et l’impossible qu’il instaure, constitue et scelle la rupture épistémologique, c’est à dire le changement de paradigme, propre au discours analytique, dont l’éthique consiste à déconstruire des conceptions « oublieuses » du signifiant, et partant du sujet en tant qu’il renvoie à une altérité irrévocable, que l’individu, aussi libre se croit-il et se proclame-t-il, qu’il soit seul ou agrégé à d’autres dans des groupes, des foules ou des masses, rassemblés autour de la conviction partagée de réaliser une plénitude et une complétude, se montre incapable d’éliminer, sous peine de mettre gravement en danger son existence, ainsi que celle des autres. Cette altérité irréductible, nommée inconscient, se matérialise par des manifestations plus ou moins étranges, surprenantes en tout cas, incompréhensibles pour le moi, qui cherche, avec l’aide de ceux qui détiennent un savoir, assorti d’un certain pouvoir, à les éradiquer, sans se donner « le temps pour les comprendre ». L’inflation de notions comme le « mal être » a le mérite, pour peu qu’on se permette de les soumettre à un examen critique, mettant en jeu le signifiant, de mettre en lumière les impasses, parfois très dangereuses, auxquelles elles conduisent. Les conceptions psychologiques ontologiques, obsédées par la guérison de ce « mal être » , procèdent en fait de la suprématie de « l’être mâle », négateur de la féminité, et partant de l’inconscient, qu’elles ne cessent de mettre en échec au profit de « l’hommosexualité », chère à la modernité actuelle triomphante. Si la quête du trauma comme agent causal, spécifie les étio-pathogénies hostiles à l’inconscient, le respect de la subjectivité, exige qu’après « l’instant de voir » (LACAN), le « temps pour comprendre » s’impose nécessairement, pour construire un symptôme, à partir de la plainte de celui qui déclare souffrir, et qui peut réussir, au terme de ce temps, à atteindre le  « moment de conclure ». Ainsi, la position de celui qui le reçoit et l’accueille, en l’occurrence le psychanalyste en tant que « sujet supposé savoir » (LACAN), requiert une lecture, qui permet au patient de se réapproprier son « mal être », en devenant responsable de la construction de son symptôme. Libéré de sa réduction en signe, et promu au rang d’une médiation, le symptôme ouvre la voie à la « signifiance », qui est généralement censurée par un savoir universel, constitué d’a priori, rejetant l’après-coup, pourtant crucial dans la cure analytique. Cet après-coup consacre les nouveaux rapports entre la conséquence et l’antécédence : celle-ci étant d’abord induite par celle-là (S2èS1èS2). La conséquence confirme l’antécédence en préservant son caractère implicite. Quant à cette dernière, elle détermine et stimule le développement des énoncés : ils représentent des métaphorisations qui suivent une progression, dont les modalités respectent les règles de la métonymie, qui met en lumière l’échappement de la vérité, et consolide la faille constitutive de tout être parlant.

Les tenants de l’embrouille rhétorique, experts en tours de passe-passe idéologiques, sont englués dans un matérialisme spéculatif et dans un pragmatisme réducteur, qui fait la part belle à l’ingénierie psychologique, sous prétexte que la rigueur théorique –et pratique- relèverait du dogmatisme. Fervents partisans de l’illettrisme, ils s’efforcent de réduire la psychanalyse à une technique thérapeutique empirique pour la déprendre du discours qui la détermine, et ainsi, la dépolitiser, malgré cette affirmation de LACAN : « l’inconscient, c’est la politique ». Ils lui assignent un rôle pervers : ils la font participer à la lutte des classes, tout en niant celle-ci au nom de la « belle âme » qu’ils croient incarner. « Le malheur, remarque LACAN dans l’Etourdit, est que le psychologue, pour ne soutenir son secteur que de la théologie, veut que le psychique soit normal, moyennant quoi il élabore ce qui le supprimerait. »

Ces idéologues reconnus par l’idéologie dominante, font miroiter la « modernité », qui n’a de cesse d’exclure cette altérité radicale qu’est l’inconscient, lequel se joue des entraves et des censures que la prétendue liberté, promue par les idéologies ontologiques et prédicatives idéalisées, met subrepticement et insidieusement en place, sous couvert de « démocratie ». En d’autres termes, même si la logique interne d’une théorie est dissimulée derrière un jargon et une rhétorique séduisantes, elle finira toujours par se découvrir, et révéler ses impasses, grâce à ses propres développements, qui ne manqueront pas de mettre au jour le discours, c’est à dire le lien social, qui la détermine et la confirme. Aussi, contrairement à ce qu’avancent ces idéologues, et à ce que les apprentis sorciers appellent, de manière oiseuse « la psyché », ce ne sont pas les individus qui se figent, en quelque sorte « naturellement », mais bien les discours dans lesquels ils sont pris et dans lesquels s’enlisent, parce qu’ils y trouvent aussi, à un moment donné leur compte, quant au refoulement (secondaire) et à l’impensé qu’ils leur procurent. A partir des stases qu’un discours peut induire, et qui peuvent se matérialiser par des symptômes, la tâche du psychanalyste, éminemment politique, va consister à réanimer la subjectivité, par et grâce à l’évidement du discours, vecteur du trouble et du « mal être ». Ce travail critique sert à révéler la question qu’il contient, et qui peut rester longtemps censurée, en raison de la force acquise par des arguments idéologiques, renforçateurs de l’aliénation sociale, et du retard quant à l’expression de sa plus juste formulation.

Le travail analytique est censé guérir de « la folie de la guérison » (LACAN) qui n’a pour visée que la suture du vide, fondateur de la subjectivité, mais considéré par les idéologues comme la cause du « mal être », sous toutes ses formes. L’obturation de la « béance causale », convoite son anéantissement, alors qu’elle donne naissance et accompagne l’émergence du sujet. La prise en compte de cette dimension essentielle, à savoir le vide, représente l’hérésie du discours analytique, insupportable pour les tenants et les soutiens de la « norme mâle », paradigme s’il en est de la normalité. Pour user d’une analogie historico-intellectuelle, je dirai qu’il en est actuellement du discours analytique comme il en a été de l’œuvre de MARX. La dialectique, contenue dans les élaborations de ce dernier, a été corrompue par des idéologues, partisans d’une conception du monde étriquée, qui ont engendré une aberration idéologique et politique : le « soviétisme », imputé de nos jours par certains paresseux et «  illettrés » à la substance-même de l’élaboration de MARX, qui a cependant réussi à créer une rupture épistémologique inédite : celle qui a mis au jour la vérité du capitalisme comme symptôme, à savoir la plus-value. Ce système économique et politique, de nos jours aussi bien, n’a de cesse de refouler cette dernière, grâce à des stratagèmes de plus en plus pervers, funestes et mortifères. Les multiples dénonciations de ceux-ci, mobilisent certes des émotions, mais ne contribuent pas à endiguer son impérialisme, qui ne cesse de dissimuler habilement, et par la force si besoin, la vérité essentielle du capitalisme. A l’image d’un symptôme individuel, qui résiste à la mise en lumière de ce qu’il contient et retient, d’autant plus qu’il recourt à un « sujet supposé savoir » dont les connaissances, au lieu de favoriser le « temps pour comprendre », vont laisser croire qu’elles détiennent et maîtrisent la vérité qu’il recèle. « Ce n’est pas sans raison, écrit LACAN dans l’Etourdit, que l’analyse se fonde du sujet supposé savoir : oui, certes elle le suppose mettre en question le savoir, ce pour quoi c’est mieux qu’il en sache un bout. »

La « chasse » au traumatisme explicatif, est lancée par des « experts » de sa capture, en vue de mettre la main sur un ultime et infaillible facteur causal, dont la prétendue objectivité, correspond en fait à la mise à l’écart de la subjec[2]tivité, dont la logique est fandamentalement distincte de celle qui caractérise la causalité classique.L’approche psychogénétique nie la structure subjective, car elle s’inscrit dans une temporalité linéaire et chronologique, favorisant une lecture anamnestique, qui refoule la « présentification de l’absence », essentielle au discours analytique. Les travaux actuels de Michel BITBOL *, même s’ils ne se réfèrent pas directement et explicitement à la psychanalyse, montrent combien la théorie du fantasme, enseignée à FREUD par les hystériques, garde toute sa pertinence quant à la construction de réalités diverses, dont « l’ objectivité » ne les dispense nullement de receler des points aveugles. Ceux-ci témoignent de l’ubiquité d’une dimension qui fait défaut à toute construction, fût-elle suprêmement objective : le réel, issu de l’impossibilté d’accéder et de maîtriser l’essence des choses, subvertit la causalité classique : il permet de se démarquer et de se dégager des confusions faciles entre causes et corrélations.

Certains idéologues définissent le progrès et la « modernité » comme le dépassement des fondements essentiels de la subjectivité, notamment la négativité propre à l’inconscient: malgré les épreuves de l’Histoire, ils persistent et signent en convainquant une majorité de leurs semblables, que la « liberté » consiste à s’affranchir de la dépendance du symbolique, grâce à une aliénation sociale, qui réussira un jour prochain à suturer cette faille ou cette béance, qui cause le sujet et le met face à son désir, à savoir ce qui lui manque et assure par là-même son existence. Grâce au désir, le sujet, sans éliminer radicalement toutes les illusions, retire sa participation à certains errements individuels et collectifs quant à la maîtrise et à la domination ontologiques. Ces illusions, nourries par le recouvrement ontologique, récusant le sujet, sont exploitées par les idéologies identitaires, qui sont des conceptions ontologiques et prédicatives, faisant croire que l’aliénation sociale finira par libérer les êtres parlants de leur assujettissement à l’ordre symbolique et de leur aliénation signifiante, nécessaires à l’ « ex-sistence » du sujet, lequel n’a cure de l’objectivité et de la prédicativité, martelées sans cesse par la « modernité » pour le réduire à néant, quitte à spolier la psychanalyse en la ravalant à une théorie médico-psychologique, intégrée aux projets commandés et pilotés par les maîtres de « la folie de guérir ». Ils vont jusqu’à invoquer l’inconscient pour plaider la récupération d’un « être », au sens d’un moi unifié, libéré de la division que lui « inflige » le sujet. A l’imposture intellectuelle s’ajoute l’inconsistance théorique et pratique, sans compter le caractère funeste des conséquences de ce choix de position.

De nos jours, malgré les apports théorico-cliniques fondamentaux de LACAN, notamment en ce qui concerne la topologie du sujet, la « folie de la guérison », entendue comme suture de la « béance causale », à l’origine du sujet, reprend de plus belle, pour le pire. Du fait de l’hégémonie idéologique de l’humanisme aliéniste et hygiéniste, défendant mordicus la « norme mâle », qui bafoue le sujet, « la folie de la guérison » transgresse l’impossibilité de colmatage de la béance, malmène les symptômes, et les chronicise en récusant le « temps pour les comprendre », grâce à des lectures pertinentes et cohérentes. La structure de compromis des symptômes, parvient à faire valoir l’inconscient comme nom de l’altérité intime et essentielle, qui décentre le moi, et confirme par là même une unité, établie sur une division articulant dialetiquement le moi et le sujet, selon une raison ou une rationalité qui excède la raison classique (celle du tiers exclu), et dépasse la temporalité, réduite à la chronologie, qui reste cependant nécessaire. En effet, cette raison comme cette temporalité s’avèrent indispensables : c’est leur déconstruction, mise en place durant « le temps pour comprendre », qui permet leur dépassement, lequel ne saurait aucunement donner lieu à une construction définitive et absolue, niant à nouveau et d’une façon différente la structure et la fonction signifiantes. Au contraire, si progrès il y a, c’est parce que les constructions nouvelles, non seulement intègreront la logique classique, mais la dépasseront en l’évidant, grâce à l’élucidation de ce qu’elle méconnaît et contient, à savoir le signifiant et le vide opérant, qui est à la base de l’insaisissabilité de la vérité ultime. Ainsi s ‘affirme le caractère transcendantal de l’inconscient en tant qu’il articule de manière indéfectible l’universel avec le singulier.

 

Avant de me plonger dans la lecture de l’ouvrage de Karima LAZALI, j’ai voulu m’imprégner des propos que cette auteure a tenus à plusieurs reprises, sur différents sites de You-Tube. En l’écoutant attentivement j’ai pu dégager quelques questions que certaines de ses thèses obscurcissent, voire enténèbrent considérablement. Parmi elles, celle qui concerne les rapports entre l’histoire et la structure subjective, que FREUD a tenté d’élucider à sa manière, et que LACAN a fondés grâce à une topologie du sujet, fidèle à la raison inédite que FREUD a dégagée des symptômes, en mettant au jour la négation et la logique spécifique qu’elle induit, pour bien spécifier l’inconscient, toujours implicitement mobilisé dans les formations concrètes qu’il organise, grâce au concours de la conscience, c’est à dire grâce à la participation « active » du moi. Le sujet, au sens du discours analytique, conjoint le moi et l’Autre entant qu’il représente sa négation, articulée selon une dialectique particulière : jamais l’un sans l’autre, tout en soulignant les différences locales, propres à l’un et à l’autre, sans exclure l’identité globale. Cette dialectique moebienne de différenciation et de mise en continuité, n’est possible que si on restitue au vide sa valeur opératoire, au sens où le nouage qu’il assure quant aux dimensions mises en jeu, par exemple dans un symptôme, les libère d’un coinçage et d’une fixité sclérosantes, voire mortifères.

 

Quelle (s), quête(s) poursuit cette auteure au travers de son enquête, qui se donne comme objectif explicite l’élucidation des rapports de l’inconscient avec des phénomènes historiques et politiques, en l’occurrence la domination coloniale française en Algérie.

Dénoncer, de nos jours, le colonialisme, le condamner en mettant au jour ses crimes les plus abjects et abominables, ne relève plus de la prouesse idéologique, ni d’un quelconque courage politique, tant ses exactions passées ont été mises au grand jour, même si certains continuent de les méconnaître. Cependant, malgré les enseignements indiscutables de l’Histoire, ce régime inique n’a pas disparu de la planète. Il continue de faire ses ravages, par exemple à l’endroit du peuple palestinien, sous les yeux de gouvernants d’Etats dits « démocratiques », qui se contentent de verser quelques « larmes de crocodile », lorsque des méfaits et des exactions irréfutables sont jetés à la face du monde.

L’élucidation d’un tel régime politique exige une analyse rigoureuse, qui peut conjoindre les travaux d’historiens, d’économistes , de géo-politologues etc… avec ceux de psychanalystes, intéressés par la dialectique spécifique des rapports entre la structure subjective et l’Histoire, soumis à une lecture et à une analyse sérieuses, requises par les concepts freudiens et lacaniens, en tant qu’ils comportent une coupure épsitémologique radicale et intraitable, qui les distingue fondamentalement des errements spéculatifs de type médico-psychologique. FREUD a d’ailleurs toujours critiqué ces derniers, qui bafouent la raison propre à la subjectivité, c’est à dire l’inconscient, qui ne signifie aucunement sa déliaison de la conscience ou du moi . Il a sans cesse combattu les théories exclusives, pour promouvoir, envers et contre tout, une psychanalyse laïque, profane, respectueuse de la seule logique qui vaille, celle de la négation que met en jeu l’inconscient, lequel –je le répète encore- n’est aucunement exclusif de la conscience ou du moi, qui donne sa consistance à l’individualité, toujours renforcée par le groupe. Appelé à la rescousse, le groupe a d’ailleurs tendance à « faire masse » pour mieux résister à la subjectivité et à l’avènement du sujet : il propose des artifices d’identification imaginaire que les idéologies, de différentes obédiences, exploitent et mettent à profit, pour mieux enténébrer le « manque à être » en le confondant avec la carence ou la faille identitaire et ontologique, désormais imputée à tout type de bouc émissaire, alors qu’elle est d’ordre structural, c’est à dire inhérente à la condition d’être parlant. C’est pourquoi, pour des raisons à la fois épistémologiques et politiques, il est impérieux d’abandonner la « victimologie », qui se cantonne à un savoir réducteur, vecteur d’une compétition et d’une concurrence victimaires, nourricières d’une cristallisation de la haine des autres, doublée de celle de soi, proportionnelles au rejet du sujet (et de l’inconscient). Ce sentiment procède du refus du « manque à être » en tant qu’il fait écho à la féminité, qui n’est pas à confondre avec la condition réservée aux femmes par les sociétés.

Plus l’inconscient est éxécré par le moi, plus la haine d’autrui et celle de soi s’accroissent : plus exactement, je dirai que ce sentiment procède de l’hostilité du moi contre le sujet, qui fait obstacle à la réalisation d’une toute-puissance prétendant assurer une complétude sans faille. Son accentuation et son aggravation, favorisent l’union, voire l’ unité groupales, au point de conduire au passage à l’acte meurtrier, pouvant viser aussi bien l’autre que soi-même.

La haine de soi est d’abord et avant tout l’hostilité vouée au sujet, qui soustrait au moi ses illusions de maîtrise et de toute puissance, mises au service du déni de la castration symbolique. Cette castration est cependant inhérente à la condition d’être parlant : elle consiste en une soumission à une loi qui dépasse tout statut social et économique, et met en présence tous les êtres parlants, comme chacun d’eux, face à la signifiance, laquelle met au grand jour l’impossibilité de tous, et de tout un chacun, de faire main basse sur le signifié. Le refus violent et obstiné de cette signfiance, invariant qui transcende toutes les sociétés, quels que soient leurs régimes politiques et leurs pouvoirs financiers et/ou militaires, est pathognomonique du colonialisme, qui impose par la force son déni de cette castration symbolique, croyant prendre sa revanche sur elle.

 

LE COLONIALISME : VIOL DE LA SUBJECTIVITE PAR DENI DE LA CASTRATION SYMBOLIQUE ET PAR REJET DU « MANQUE A ETRE », REPRESENTANT DE L’INFAME FEMINITE.

 

Si l’Histoire nous offre un enseigement, c’est bien celui qui nous permet de remarquer que tous ceux qui combattent à bon droit le colonialisme, ne s’opposent pas nécessairement à ce déni qui le constitue, pour porter au pinacle force et virilité militaires, afin d’ asseoir une domination et un pouvoir, associés à un sadisme, capables d’assurer une jouissance totale, réservée à ceux qui le méritent parce qu’ils appartiennent à la catégorie des « nobles », forts et civilisés. Un tel système pervers peut même être légitimé par des théories dites scientifiques, recourant à des arguments médico-psychologiques fallacieux pour justifier sa domination, ses multiples injustices, infligées à des populations « ignobles », inférieures, auxquelles la domination coloniale, alors qu’elle les asservit, se propose de les émanciper en les assimilant, c’est à dire en éliminant -au nom d’un universalisme étriqué et dévoyé- les différences qui les distinguent et les caractérisent. L’ineptie fondamentale du système colonial consiste, depuis les massacres perpétrés par Christophe COLOMB, à essentialiser les différences, au point d’en faire les raisons des discriminations et des meurtres de masse. Alors que ces différences représentent des métaphorisations diverses et multiples d’une même appartenance, inhérente à l’assujettissement à l’ordre symbolique et aux dimensions qu’il met en jeu.

Invoquer l’inconscient et le discours analytique pour plaider la récupération de « l’être de l’Algérien » (K. LAZALI), au sens d’un moi unifié –par la victoire sur le colonialisme-, relève de l’inconséquence clinique et pratique, doublée d’une inconsistance théorique, qui n’a que faire de la rigueur épistémologique, puisqu’il s’agit de vendre des produits de bas de gamme à des populations « ignares », et de « coloniser » idéologiquement de nouveaux territoires avec des versions édulcorées et tronquées de la subjectivité.

Aussi, le véritable traumatisme, s’il y en a un, ne se situe-t-il pas au niveau d’un « désaisissement de l’être de l’Algérien » (K.LAZALI) par le colonialisme, mais bel et bien au niveau du déni du manque à être essentiel à tout être parlant, assujetti à un ordre transcendantal, commun à tous les parlêtres : celui du symbolique et du signifiant, que l’inconscient –instance civilisatrice- ne cesse de rappeler à travers la « psychopathologie de la vie quotidienne ». La subjectivité, qui implique l’altérité, à l’œuvre dans les formations de l’inconscient, est catégoriquement rejetée, exclue et démentie par le système colonial. En d’autres termes, je dirai que le colonialisme est un viol de la subjectivité, commis non seulement contre ses victimes toute désignées, mais aussi contre tous ceux qui sont censés le soutenir, et dont il aggrave la méconnaissance en leur promettant un vain accomplissement ontologique. Ce viol de la subjectivité et la transgression de sa loi fondamentale, attentent à la castration symbolique, qui se matérialise par la prohibition de l’inceste en tant qu’elle consacre l’enracinement de chacun et de tous, dans l’ordre symbolique, les identifiant ainsi comme « parlêtres », quelles que soient leurs différences, qui persistent précisément grâce à ce qu’ils partagent en commun et les identifie. La singularité procède de cette articulation dialectique (moebienne) entre les différences (locales) et l’identité (globale).

Combattre le colonialisme, en méconnaissant cette dimension essentielle, propre à la subjectivité et à sa logique, débouche immanquablement sur une conception étriquée et fausse du nationalisme. En effet, promettre le recouvrement identitaire et ontologique en mettant à bas, à juste titre le colonialisme, ne libère pas pour autant de ses illusions ontologiques, attachées au déni de la castration symbolique et à celui du manque à être, refoulées aussi par ceux qui en ont finalement triomphé. En effet, ce n’est pas parce que les victimes du colonialisme ont finalement réussi à le vaincre, qu’elles ont mis au jour son projet d’exclusion de la subjectivité. Les raisons qui les ont menées à le combattre sont diverses et variées, dans le sens où leur motivation principale, en l’occurrence politique, est toujours surdéterminée par des choix plus intimes, plus personnels. Aussi, leur indépendance ne les a pas pour autant libérées de leur asservissement aux idéologies ontologiques et nationalistes, qui ne veulent rien savoir de la subjectivité. Les multiples déceptions qui se sont succédées depuis l’idépendance, jusqu’à nos jours, aident à mettre en évidence le prolongement du même déni de la catration symbolique, avec tous ses effets néfastes, voire funestes quant à l’« ex-sistence » de ceux qui ont pourtant durement lutté pour se libérer du joug colonial. Par ailleurs, la violente transgression de l’ordre symbolique par le colonialisme, a causé bien des déboires à certains de ceux qui y ont cru, persuadés que leur jouissance phallique allait être assurée par la domination humiliante, exercée par des maîtres, convaincus que l’élimination d’ « indigènes » attardés, les empêchant de réaliser leur être et leur idéal de civilisation, était justifiée. L’écrasement de l’altérité extrinsèque, représentée par des « indigènes » dévalués, équivaut en vérité à celui de l’altérité intrinsèque, propre à tous ceux qui s’abîment dans ce genre d’illusions. Quant à certains de ceux qui ont dénoncé et récusé que leur accomplissement personnel devait se faire sur la base de l’asservissement d’autres êtres parlants, ils l’ont payé de leur vie, comme Maurice AUDIN et d’autres encore.

Même si l’indépendance, après la guerre de libération, a pu représenter une sorte de matrice ou de référence « résiliencielle », elle n’ a pas mis fin à ce stigmate virulent du colonialisme, composé du déni de la castration symbolique et du rejet du manque à être. Cette même logique erronée, alimentée par la méconnaissance et le refoulement névrotiques, a continué à mépriser le sujet, et s’est retrouvée à l’oeuvre chez ceux qui ont fait échec à l’entreprise coloniale : les mêmes illusions ontologiques essentialisantes ont été entretenues par des idéologies différentes, qui méconnaissent que le narcissisme se fonde sur le manque à être en tant qu’il est essentiel, et partant indépassable. L’indépendance n’a opéré aucune rupture discursive. Etayée et soutenue par des conceptions et des idéologies ontologiques, étriquées et réductrices, nourrissant un nationalisme-gros de chauvinisme- elle a prolongé et poursuivi le rejet du « manque à être », considéré comme humiliant et infâme, parce qu’il renvoie à la féminité, considérée comme équivalente à la position de dominé, imposée par le système colonial. La réppropriation de son être par l’Algérien s’inscrit dans une conception, qui est loin de subvertir fondamentalement la logique à l’œuvre dans le colonialisme, alors que les conditions socio-politiques et idéologiques auraient pu favoriser l’émergence d’un autre discours, soulignant l’ancrage et l’enracinement dans le symbolique, qui exile tout individu de son être pour asseoir son identité, celle qui consiste à intégrer définitivement et irrévocablement le manque à être. L’indépendance du peuple algérien n’a pas achevé le colonialisme, tel que je l’ai défini. Celui-ci persiste à travers de nouvelles formes, véhiculées par des conceptions qui « modernisent » l’exclusion de la subjectivité. La « modernité », identifiée à l’Occident, est au service de son idéalisation, qui participe à la dissimulation de l’économie capitaliste mondialisée, derrière le paravent démocratique. Elle contribue grandement au renforcement des idéologies qui ne souffrent pas l’inconscient, en raison de la négativité subversive qu’il induit. Par ailleurs, tout en hypnotisant avec ses « nouveautés », elle participe au dépérissement et à la paupérisation intellectuelle, qui entrave l’éclosion du nouveau, issu du « bon heur(t) » accompagnant le travail critique d’évidement de ces dites nouveautés, qui font l’objet d’un vacarme ontologique tonitruant. C’est dans ce contexte que la « modernité » se trouve des supplétifs pour colporter ses « nouveautés » éculées, dans des sociétés qui en sont apparemment privées, mais qui ont déjà leurs propres discours exclusifs de la subjectivité. Il s’agira alors de convaincre pour que des idéologies locales, cèdent leur place, et favorisent des conversions idéologiques, laissant acccroire que les conceptions de cette modernité, sont par essence progressistes. Elles pourront dès lors gagner d’autres territoires et d’autres populations, pour lesquelles il est indispensable, vu leur niveau intellectuel, de préparer des versions édulcorées et adaptées. Le discours analytique aussi se retrouve piégé par des idéologues, patrons d’officines diverses, qui s’adonnent à la fabrication de versions compréhensibles par ceux qui manquent de moyens intellectuels pour comprendre la subjectivité. Cette « modernité » émancipatrice commande bien des projets néo-libéraux, et partant néo-coloniaux, qui pervertissent la psychanalyse, en la promouvant et en la vendant comme une marchandise sur le marché des thérapies.

 

Les lectures, constitutives des faits et des événements historiques, montrent bien que les réactions à ce viol de la subjectivité, commis par le colonialisme français, ne sauraient être prédéterminées et préétablies : elles sont essentiellement déterminées par des interprétations, qui donnent des significations privilégiant certaines dimensions, alors que d’autres en sont refoulées, voire exclues.

Le rejet de la logique subjective à l’œuvre dans le colonialisme a perduré après l’indépendance. L’idéal du moi, qui aurait pu avoir droit de cité, à la faveur de cette libération, a été écrasé par la paranoïa, dont le règne se poursuit. Loin d’être dépassée, la mégalomanie, issue de la victoire sur le colonialisme, contribue grandement à renforcer la censure, en encourageant tous les discours, notamment ceux qui refusent le « manque à être », pour mieux exacerber l’hypertrophie du moi. Les discours susceptibles de subvertir la paranoïa, par l’évidement d’un nationalisme identitaire obtus, à visée ontologique, n’ont pas voix au chapitre, dès lors que le sujet, qui altère l’être, est invoqué, à l’encontre des idéologues, qui tiennent à maintenir à tout prix, la confusion entre les deux. La reprise de possession de son être, sous la forme d’une entité totale, unifiée et souveraine, qui fait échec à la division subjective, n’est en rien une guérison de l’amputation infligée par le colonialisme ! Au contraire, elle marque la lutte farouche menée contre « l’éternel féminin » qui fait valoir l’incomplétude essentielle, commune aux deux sexes, à savoir « le pas tout » (LACAN) en tant qu’il représente le socle d’un universalisme, qui privilégie et souligne l’ancrage irréversible, de tous et de chacun, dans un ordre transcendantal : l’ordre symbolique, confirmé par les particularismes nationaux. Même ceux qui s’obstinent à le nier, et à revendiquer leur indépendance par rapport à lui, finissent par le mettre en valeur en tant qu’ils en dépendent inéluctablement.

En résumé, même si le colonialisme a confisqué, spolié, dépossédé les Algériens de leurs biens matériels et de leurs ressources, son projet de dépossession de leur « être » était d’emblée voué à l‘échec. Car cet « être » n’est en rien un donné naturel ou une essence immuable. Il procède de la spécificité de leur ancrage et de leur enracinement particuliers dans un ordre, qui est transcendantal et irrévocable. En d’autres termes, tout ce qui est nommé traumatisme, ne tient et ne vaut que parce qu’il est déterminé par le « troumatisme », qui permet de lui conférer cette signification, et bien d’autres encore, parmi lesquelles le choix reste toujours possible, en fonction du désir qui est en jeu et qui n’est jamais immédiat. Les théories faciles qui ne veulent rien savoir du « troumatisme », s’acharnent sur les traumatismes pour offrir leurs services aux victimes, dépossédés de leur unité moïque, imaginaire, ressortissant à un unversalisme de mauvais aloi, qui évince la singularité. Ces « fous de la guérison », prôneurs de l‘infatuation moïque, croient incarner la meilleure des conceptions ontologiques, alors qu’ils s’alignent et s’inscrivent dans la continuité des mêmes fondements logico-théoriques qui l’établissent. La détention d’un savoir psychologique, assorti de notions psychanalytiques, prétend assurer une recouvrement de « l’être », qui fait désormais l’objet de transactions idéologiques et comerciales. Ce savoir aggrave d’autant plus les illusions ontologiques qu’il est identifié à la modernité occidentale, aux ordres de la mondialisation, cheval de Troie du capitalisme et de ses ravages néo-coloniaux. A ce sujet, le fameux « Printemps arabe » est éloquent à plus d’un titre.

J’ai tenté, pour ma part, de mettre au jour, l’importance capitale de ce « troumatisme » dans les constructions théoriques, qui tentent de rendre compte sérieusement  de problèmes ressortissant à la subjectivité. C’est ce que j’avais déjà essayé d’élaborer et d’avancer en 1998, dans mes différents articles, publiés dans l’ouvrage collectif : « Algérie, années 90, politique du meurtre » (LYSIMAQUE), ainsi que dans ceux qui figurent sur le site de l’AECFLILLE.

 

« TRABENDISME » (COLPORTAGE) INTELLECTUEL ET LARBINISME IDEOLOGIQUE

 

Sur le plan épistémologique et méthodologique, il est indubitable que, lorsqu’un facteur causal est figé dans une objectivité, qui le réifie en le déliant, voire en le clivant du « troumatisme » ou de la « béance causale » dont il dépend, il ne peut plus produire que des interprétations et des significations univoques, mettant en danger le sujet. Celles-ci entravent « le temps pour (le) comprendre », qui s’avère nécessaire pour se libérer des significations antérieures « coinçantes », auxquelles il est assigné. Si le colonialisme ne peut pas être scotomisé quant à ses méfaits, les significations que lui confèrent les idéologies en jeu dans les luttes pour s’en libérer, sont variées, et peuvent changer selon les époques et la qualité de l’écriture de l’Histoire. Se satisfaire d’une signification a priori, fût-elle objective, pour faire d’un événement un agent causal, contribue à dévoyer la vérité , car le « temps pour comprendre », nécessaire au dépassement de cette même signification, est entravé. Un facteur reçoit toujours sa signification la plus juste de son articulation avec d’autres facteurs, qui mettent en jeu d’autres dimensions dont la dialectique, si elle ne tient pas compte du signifiant et du vide qui en découle, ne peut engendrer qu’une impasse. C’est ce que nous enseigne l’humanisme, à travers toutes ses versions généreuses qui n’ont de cesse de libérer l’homme de ses « instincts archaïques », identifiés à l’inconscient, qu’il s’agit alors de maîtriser, alors que ce dernier, au sens freudien, renvoie à une altérité intime dont la prise en compte, préserve de toute dérive totalitaire, et représente un facteur de civilisation.

La civilisation et les Lumières ont été bafouées et trahies par le colonialisme, qui prétendait les incarner, alors qu’il consistait en une machination, destinée à nier et à démentir, par les moyens les plus pervers dont il disposait alors, l’assujettissement à l’ordre symbolique, qui engendre une incomplétude, qu’aucune domination -de quelqu’ordre qu’elle soit- ou manifestation de force ne peut suturer. La civilisation réside en fait dans l’intégration de cette faille ou de ce défaut, essentiel à l’existence. Elle revalorise le vide dans son irrévocabilité pour mieux souligner la dépendance du signifiant, qui implique la castration symbolique et la division du sujet, en raison d’une altérité qui s’exprime par des manifestations provenant d’un autre lieu, d’une scène étrangère et pourtant intérieure, intime, et en dernière instance, familière. Ainsi, les formations de l’inconscient révèlent l’étranger qui gît au sein du moi. Il ne cesse de le hanter et de l’importuner, voire de le perturber gravement, d’où les moyens qu’il mobilise avec l’aide de ses prochains et semblables qui savent, pour le mettre hors d’état de nuire son « être » : l’arsenal compte aussi bien des moyens « scientifiques » (psychotropes et psychothérapies de toutes sortes), que des techniques magiques et archaïques (rituels traditionnels et religieux). Dans tous les cas, cette éradication se justifie par le « noble » -mais illusoire- projet de réappropriation de son être, dont l’inanité ne peut que renforcer, à terme, une culpabilité qui décuple les haines de soi et de l’autre, avec toute la violence qui les accompagne.

 

Invoquer et convoquer le discours analytique et sa logique spécifique, si l’on est un tant soit peu conséquent, doit nous aider à mettre en lumière le projet implicite du colonialisme, qui se manifeste à travers tous ses funestes méfaits, déterminés en vérité par un objectif pervers : celui de refuser, en la déniant, la castration symbolique qui loge à la même enseigne phallique tous les êtres parlants, sans exception, quelles que soient leurs particularités et leur différence sexuelle.

A la spoliation économique et matérielle, ce régime pervers tente de dépouiller ses victimes de leur subjectivité, en les amputant, non point de leur être, comme il voudrait le faire croire en développant, parmi ses adorateurs, l’identification à l’idéal de la complétude idéologique, garantie par sa toute-puissance, mais bien de leur assujettissement à l’ordre symbolique, générateur de cette castration civilisatrice, fondée sur la « béance », qui est à la base de la subjectivité, pierre angulaire de ladite condition humaine. Autrement dit, le colonialisme tente de nier le désir chez ses victimes pour les exclure de la condition d’êtres parlants. C’est pourquoi, malgré tous ses efforts, il n’a jamais été capable de délier et de déposséder les Algériens de leur langue maternelle en tant qu’elle les assujettit au signifiant, à « lalangue » (LACAN) qui transcende toutes les langues, quelle que soit leur richesse. Parmi ces efforts, les inepties pseudo-scientifiques de l’Ecole psychiatrique d’Alger se trouvent en bonne place pour légitimer son projet pervers (cf. les références de Frantz FANON dans les « Damnés de la terre »).

La réification à laquelle s’attèle le colonialisme, s’avère traumatisante parce que ce système économique, social et politique tente de soustraire à ses victimes la subjectivité : il voudrait, avec l’aide de certains psychiatres, rendre ses victimes irréductiblement étrangères à la condition humaine tel qu’il la définit. Mais il lui est impossible de nier leur condition d’être parlant, qui assure la singularité de chacun. La méprise du colonialisme, comme tout régime despotique et tyrannique, consiste à mépriser l’inconscient en vue d’accomplir son projet de complétude totalitaire, voué de toute façon à l’échec. Même le nihilisme fasciste de l’OAS n’y est pas parvenu. En effet, aucune tyrannie, même si elle remporte quelques batailles et semble atteindre quelques uns de ses objectifs, ne peut venir à bout de l’assujettissement à l’ordre symbolique. Tous les méfaits et les exactions, voire les abjections commises, pour imposer sa maîtrise et sa toute-puissance, ne peuvent invalider et anéantir la loi signifiante qui le structure et le détermine, malgré ses projets de l’éliminer. Se donner le pouvoir de mettre à mort tous ceux qui sont pris pour des obstacles à l’accès à la jouissance phallique, et partant à « l’être », ne libère d’aucune façon de cette loi et de ses conséquences, surtout si elle est violée et bafouée. Elle ne cesse pas de hanter ceux qui , par quelque savoir et/ou pouvoir ont cru, à un moment donné, se libérer de la condition de « parlêtre ».

Aussi traumatisant fût-il, le colonialisme français n’a pas inhibé des Algériens, qui ont décidé de se soulever très tôt contre l’oppression qu’il instaurait. Les réactions ont été précoces et n’ont pas cessé de se multiplier, malgré l’horreur des représailles et des crimes perpétrés.L’échec de la politique coloniale a engendré l’indépendance du peuple algérien, mais même si cette libération met en valeur la justesse des luttes menées contre le despotisme colonial, peut-on dire après-coup que l’indépendance a remis à sa place la dépendance du symbolique et l’incomplétude qui en découle, pour redorer la subjectivité, que tout régime politique exècre, souvent à la grande satisfaction des masses, avides de boucs émissaires pour leur imputer leur « manque à être », confondu avec la place que leur assignent les rapports sociaux de production, en l’occurrence de type capitaliste ?

Les fondements théoriques qui ont soutenu ces divagations, produites par « des mandarins » de la psychiatrie, réhabilités et recyclés ensuite par l’Université française, sont encore en vigueur de nos jours. Ils déterminent de nombreuses spéculations « modernes », qui confondent subjectivité, fonction signifiante et fonctionnement cérébral, alors que, par ailleurs, elles prétendent récuser, voire combattre des théories qualifiées de racistes et de réactionnaires. Ces fondements théoriques restent vivaces et contaminent implicitement certains errements théoriques qui, tout en se référant à la psychanalyse, finissent par révéler leur tentative de pervertir le discours analytique en idéologies psychologiques, proposées et vendues par des « friperies » intellectuelles. Parmi ces sous-produits intellectuels, certains sont labellisées par des officines françaises, dont les relents néo-coloniaux se manifestent à travers une complaisance, un paternalisme et une reconnaissance opportuniste remarquables, manifestes à l’endroit de larbins, prêts à participer à l’abrasement du tranchant des concepts fondamentaux de la psychanalyse, sous le prétexte fallacieux que, d’une part la rigueur théorique du discours analytique est synonyme de dogmatisme, et d’autre part sa complexité logique est inadaptée au niveau intellectuel et à la compréhension de populations encore sous-développées, comme celles qui peuplent l’Algérie.

Le colportage de cette camelote française convient à merveille à l’idéologie dominante qui règne en Algérie. Accaparée par des « affairistes », elle se caractérise par un amalgame infect de conceptions diverses, dont le but –sous couvert de modernité- est d’en finir avec la subjectivité. Ainsi, la dialectique moebienne qui spécifie la logique spécifique de celle-ci, se perd dans des formulations maladroites et tragi-comiques, comme : « l’indissociabilité du psychisme et du collectif » (P.18) qui veut signifier la dialectique entre le « dehors (l’environnement) » et le « dedans » (l’intériorité), ne débouche aucunement sur l’indistinction des deux. Elle méconnaît la subsomption inclusive de la différence locale par l’identité globale. Cette moebianité de la subjectivité finit par se dégrader pour laisser place à un bricolage de piètre qualité : « Un point de colle lie le sujet et le social, au point que la différence entre eux disparaît presque complètement » (P.193). D’où l’appel à l’urgence de stimuler et de favoriser, au nom de la subjectivité, l’éclosion de l’individu. L’adhésivité à ce genre d’idéologie psychologique, qui n’a cure du sujet –au sens analytique-, est à son comble, d’autant plus qu’elle fait usage de concepts psychanalytiques, en les délestant de leur insertion dans un discours spécifique, caractérisé par une structure, qui donne toute sa place au vide. Aussi, si traumatisme il y a, le plus violent est sans aucun doute celui qui consiste à refouler, voire à forclore le « troumatisme », qui affilie définitivement tout être parlant à une incomplétude ontologique, inhérente à l’incorporation du signifiant.

 

 

TRABENDISME INTELLECTUEL  ET CAMELOTE IDEOLOGIQUE

 

Le « trabendisme », colportage d’idéologies de la modernité, issues de friperies françaises, favorise grandement l’opportunisme et le carriérisme « larbiniques ». « Mangeant à tous les râteliers » et renouvelant leur vassalisation, aucun de ces « trabendistes » n’oublient sa génuflexion devant un Albert CAMUS, dont les positions politiques ambigües face au colonialisme, sont bien refoulées. Ce Prix Nobel, contrairement à Frantz FANON, ne pouvait pas remarquer que le colonialisme pouvait causer des victimes du côté des dominants, censés en être les bénéficiaires reconnaissants comme lui, qui « préférait sa mère à la justice ». Comme si le fait de porter de l’intérêt à celle-ci était exclusif de l’amour filial, voué à celle-là. Piètre philosophie !

Parmi les représentants du système colonial et parmi ceux qui prétendaient l’incarner, notamment certains tortionnaires, quelques uns ont payé le prix fort, non pas forcément pour leurs actes obscènes, mais d’abord et avant tout en raison de leur transgression de structure subjective et de la loi essentielle. Aussi, le plus dur des traumatismes procède-t-il de la méconnaissance, du refoulement voire de la forclusion du « troumatisme », qui inscrit définitivement tout être parlant dans une incomplétude ontologique, source d’une « ex-sistence », désormais fondée et soutenue par le désir, dont l’hérésie consiste à subvertir toutes les prétentions idéologiques, qu’elles soient de type prédictif et/ou prédicatif.

 

S’adonner à la « victimologie », en la rapportant à la colonisation française de l’Algérie, sans préciser en quoi consistent les crimes sur le plan subjectif, représente à mon sens une entreprise idéologique qui exploite des concepts fondamentaux de la psychanalyse, dépris de la logique discursive qui est censée les mettre en valeur. Une telle entreprise participe du « trabendisme » intellectuel. Cette pratique de colportage commercial, répondait dans les années 1970-1980 à la pénurie –organisée par le pouvoir mafieux algérien- des biens de consommation sur le marché national. La pénurie était gérée par des équipes très aguerries, qui allaient écumer les marchés étrangers, notamment français, pour colporter des biens de consommation, généralement de piètre qualité, et les vendre aux consommateurs algériens, friands de produits étrangers, d’autant que la rente des hydrocarbures soutenait plus ou moins le pouvoir d’achat des classes moyennes.

La psychanalyse, réduite à une idéologie de type médico-psychologique, est en train de connaître un abâtardissement et un pervertissement obscènes. Sa dangereuse dégradation accompagne le déclin actuel du capitalisme français, qui n’hésite pas à promouvoir la médiocrité intellectuelle, pour annexer de nouveaux territoires et les soumettre à des discours, dont la prétendue modernité, ne consiste qu’en l’adaptation aux lois du marché capitaliste mondial. La psychanalyse est mise en concurrence et en compétition avec des conceptions de plus en plus réductrices, au service de l’aliénation sociale et de la censure, afin que la signifiance, source de plurivocité sémantique, soit définitivement écartée, malgré l’impossibilité effective de la suturer, qui est en fait un gage de démocratie, s’il en est. (c’est à dire l’écart irréductible entre le signifiant et le signifié, qui permet la pluralité des interprétations et des significations, dont aucune ne peut apporter son obturation, ni la garantir).

Le discours analytique, dévoyé et corrompu en idéologie ontologique, se transforme en un sous-produit culturel, une camelote, destinée à des consommateurs qui n’ont le droit d’y accéder que sous cette forme dégradée, parce qu’ils n’auraient pas le niveau intellectuel et culturel requis pour bien le comprendre. Ainsi, grâce à des affairistes et à des colporteurs « modernistes », la psychanalyse se voit condamnée au frelatage, sous prétexte de l’adapter au niveau de consommateurs qui doivent s’en satisfaire. Ce frelatage est encouragé et cautionné par certaines officines françaises. Par leur complaisance, celles-ci véhiculent implicitement des idées néo-coloniales qu’elles taisent, en même temps qu’elles les aggravent, sous couvert de « compréhension » paternaliste et compassionnelle : leurs productions idéologiques, apparemment respectueuses de pluralité, sont en fait toutes fondées sur un même refus de la castration symbolique, qui procède de l’assujettissement de tous les êtres parlants à l’ordre symbolique, qu’il ne faut surtout pas confondre avec l’ordre social. L’éclectisme théorique qu’elles mettent en avant pour justifier un pragmatisme, digne de la « modernité », dissimule mal leur véritable influence sur l’aliénation sociale, qui n’a de cesse de récuser l’aliénation symbolique, libératrice du désir comme soutien indéfectible de l’« ex-sistence ».

 

L’abord du traumatisme colonial par Karima LAZALI, refoule complètement les rapports que tout événement, entretient avec le « troumatisme » (LACAN). Il est essentiel à la subjectivité en tant qu’il met en oeuvre la négation, qui représente la mort de l’être, et assure son dépassement par le sujet. Il met en action un vide qui ne s’identifie nullement avec le rien ou le néant, mais devient la matrice originelle de toutes les hypothèses possibles, qu’il fonde sans qu’aucune d’entre elles n’en vienne à bout, ni ne le tarisse. Ces dernières, ainsi édifiées, mettent en œuvre un rapport inédit entre l’antécédence et la conséquence : celle-ci, comme effet de celle-là la maintient implicitement et s’en soutient, telle une nécessité, pour engendrer un supplément qui la fait progresser, sans pour autant que le vide qui les détermine ne soit comblé, sous peine de scléroser la production des hypothèses, constitutives de « la pensée » (« l’apensée » LACAN), toujours soutenues par le ratage et le « parêtre ». Ces hypothèses matérialisent le développement métonymique, impulsé par le vide fondateur qui donne naissance à ses diverses métaphorisations. Tout en se développant, elles concrétisent la fonction signifiante en tant qu’elle ne cesse d’ éloigner, chaque fois un peu plus, le signifié. Aussi l’enchaînement (dans les deux sens du terme) signifiant assure-t-il l’échappement de la vérité en tant qu’elle témoigne de l’aliénation signifiante de tous les êtres parlants, quels que soient leurs statuts socio-économiques. Quant à ceux qui tentent de défier cet enchaînement, en croyant s’en affranchir totalement, comme c’est le cas dans les psychoses, ils échouent immanquablement, et compromettent gravement leur « ex-sistence ».

Le « dessaisissement de l’être », expression dont nous assaillent les idéologues de toute obédience humaniste, montre combien la logique des « maîtres » reste prégnante : elle fait encore croire que tous ceux qui détiennent un pouvoir, possédent les moyens de triompher et de mettre à bas l’ordre symbolique. Dès lors qu’ils ont vaincu le « bouc émissaire », identifié à l’obstacle qui leur interdirait de mettre la main sur la jouissance phallique, ils croient avoir triomphé définitivement de la force qui les empêchait de réaliser leur être. Alors qu’en vérité cet objectif est voué au ratage, pour des raisons d’ordre structural, liées à la condition d’être parlant, soumis à l’interdit de l’inceste. Les gravissimes attentats commis contre la subjectivité par les adeptes du colonialisme, ont visé non seulement leurs victimes toute désignées, mais ils ont aussi touché –parfois de manière indirecte- certains de leurs soutiens, ensorcelés par la promesse qu’une participation à l’entreprise périlleuse de domination par l’écrasement d’autres êtres parlants, avilis et indignes de faire partie de ceux-ci, pouvait assurer une ontologie totale et sans faille. Le pire des traumatismes consiste à nier le « troumatisme », fondateur de la subjectivité et partagé par tous les êtres parlants pour faire valoir leur singularité.

Frantz FANON a bien repéré sur le plan clinique les phénomènes pathologiques liés à cette transgression de l’ordre symbolique, qui ne peut rester impunie.

 

« L’âme à tiers » (LACAN), celle qui n’exclut pas le vide comme tiers constitutif du sujet, est partagée par tous les êtres parlants, quel que soit « le narcissisme de (leurs) petites différences » (FREUD) qu’ils peuvent magnifier et mettre en avant. Elle les renvoie au vide qui les constitue et qu’ils parent avec autant de «paraître » (artifices imaginaires), qu’ils peuvent parfois, pour éviter le « parêtre », s’ abîmer dans « la gonfle imaginaire » (LACAN). L’incomplétude ontologique qui caractérise tous les êtres parlants, permet de démystifier et de désavouer cette dernière, que développent l’aliénation sociale et le discours du maître en particulier, afin de rejeter l’altérité constitutive de la subjectivité, à partir de laquelle la singularité peut être reconnue. La subjectivité se fonde sur une unité, dont la particularité consiste en ce qu’elle est fondée sur une division irréductible, liée à la présence de l’Autre, dont aucun « parlêtre » ne peut se libérer, quel que soit le « paraître » (images) qu’il se donne. Il sera toujours « parêtre » (à côté de l’être) ! Les justifications morales et idéologiques enjoignent de s’affirmer comme être, d’autant que des experts reconnus en garantissent la récupération, même sous forme de succédanés plus ou moins dramatiques. Elles font partie de l’aliénation sociale qui, lorsqu’elle s’ingénie –grâce à ses idéologues- à confondre l’individu avec le sujet, devient oppressante, pousse au pire et à la psychose.

 

LES IDEOLOGIES EXCLUSIVES DU SUJET : VECTEURS DU NEO-COLONIALISME « MODERNE »

 

En se parant et en s’emparant de la psychanalyse, les « ambassadeurs » de la modernité « occi(re)dentale » entretiennent la confusion entre mondialisation impérialiste et universalisme, considéré comme « progressiste ». Dans un tel contexte, le « trabendisme » intellectuel (colportage) s’accouple avec le larbinisme supplétif : les convoyeurs de conceptions, adaptées à la débilité ambiante et dominante, sont convaincus qu’ils transportent le nec plus ultra des théories modernes, amalgamant, au nom d’un éclectisme moderne, une psychanalyse frelatée, « movalisée » (LACAN), qui n’a de cesse de bafouer, plus ou moins explicitement, cette altérité, liée au vide organisateur de la structure subjective, pour faire miroiter des illusions et des impostures ontologiques et éidétiques. Le projet idéologique de ce genre de spéculations consiste, de surcroît à refouler les motifs du colonialisme en tant qu’il est une ex-croissance du capitalisme, dont les méfaits (spoliation de ressources et confiscation de terres) se poursuivent encore de nos jours, sous la forme d’une « soft barbarie » qui, grâce au développement de certaines sciences à visée prédicative (neurosciences par exemple), participent activement à la réification de ceux qui sont condamnés à assurer la survie de ce système économique et politique. Il représente le paradigme de la spoliation et de l’extorsion de la plus-value, produite par des corps qui, par dessus le marché, se voient dépouillés de la subjectivité, et exclus de la condition d’êtres parlants, pour être mieux chosifiés, et partant plus exploités. Il n’est qu’à voir l’état dans lequel se trouve la majorité du peuple palestinien sous la botte d’un Etat israélien, qui passe pour être un modèle de modernité et de « démocratie », qu’il soit dirigé par des sociaux-démocrates ou bien par des tenants de la droite la plus réactionnaire et extrêmiste. (Cf. les catastrophiques accords d’Oslo, dénoncés par Edward SAÏD et Mahmoud DARWICH).

Comme pendant la lutte de libération du peuple algérien, l’aliénisme médico-psychologique a explicitement prêté main forte, à la légitimation du projet colonial. Il rejetait le discours analytique, alors qu’aujourd’hui, les théories aliénistes ne se privent pas d’y recourir, en pervertissant les concepts psychanalytiques fondamentaux, nécessaires à l’élucidation des manifestations subjectives. Même la clinique est dévoyée : les lectures, censées soulever des problèmes théoriques nouveaux, permettant de reconsidérer des représentations intuitives, plus ou moins bien élaborées, refusent de renoncer à un mode causal, dominé par une doxa et une vulgate, massacreuses de la subjectivité. Ainsi, à propos du traumatisme, devenu une « tarte à la crème » médico-psychologique indigeste, les phobies, depuis le petit HANS, nous enseignent bien comment un objet devient phobogène, et comment se mettent en place les parades et les protections contraphobiques, qui consacrent la signification qui lui a été conférée par celui qui en souffre et s’en plaint. Le caractère spectaculaire de certaines réactions de panique ne doivent en aucun cas évincer le « temps pour comprendre », d’autant que le dispositif contraphobique est toujours mis en défaut. L’incompréhension persiste malgré les conseils prescrits et les conduites dictées par ceux qui croient maîtriser un savoir éradicateur de tels symptômes. Le schéma causal classique est insuffisant. Il devient obsolète et échoue rendre compte des « facteurs subjectifs » qui ne saurait être réduits et confondus avec le fonctionnement cérébral, auquel le recours in fine, ne sert qu’à mieux les exclure, même s’ils sont évoqués. L’éclectisme idéologique « moderne » est appelé à la rescousse pour mieux renforcer la confusion entre rigueur épistémologique et dogmatisme.

L’inconséquence thérapeutique et l’inconsistance théorique connaissent leur paroxysme lorsque, par desus le marché, l’éthique est invoquée comme « la cerise sur le gâteau » de la doxa, qui ne s’embarrasse d’aucun paradoxe, et pour cause ! (Cf à ce sujet l’ouvrage de Houria CHAFAI-SALHI : « Ce drôle de môme…(L’enfant autiste). Ed. KOUKOU.2018), qui ne s’embarrasse pas de questions épitémologiques et nous offre grâcieusement un modèle d’éclectisme théorique, de type universitaire, dont l’exhaustivité soutient un projet thérapeutique, adressé aux enfants autistes, sans tenir compte de la spécificité de la logique propre à la structure subjective.

 

Karima LAZALI a le mérite, à travers ses différentes interventions sur les sites dans lesquels elle est invitée, de nous montrer à ciel ouvert comment le mépris du sujet au sens freudien du terme, s’insinue dans les énoncés et donnent lieu à des circonvolutions plus ou moins amphigouriques et à des circonlocutions plus ou moins pédantes, au point que ce qui est mis en avant par certaines officines françaises, à savoir ce qui est nommé « le féminin » (alors que FREUD a consacré plusieurs travaux à la féminité), se perd à travers des élucubrations psychologisantes, qui rompent le rapport dialectique entre l’inconscient, comme négation de l’être et la féminité. Autrement-dit, pas d’inconscient sans féminité et inversement !

 

Tout ce qui est exposé dans cet ouvrage ressortit en fait à une théorie psychopathologique générale, de type universitaire, qui, in fine, écarte subtilement la conception freudienne du symptôme en tant qu’il représente un coinçage dans une raison, dans une rationalité duale (bilatère ou sphérique plus anthopologique qu’analytique), incapable d’animer une nouvelle dynamique, assise sur un vide opérant, parce qu’il n’est plus l’équivalent de rien. Toutes les manifestations plus ou moins pathologiques, rapportées par l’auteure, sont présentées comme des effets du trauma colonial, qui devient l’homologue du poumon dans le « Malade imaginaire » de MOLIERE. Comme l’a bien remarqué LACAN, dans L’Etourdit, « …Les analystes qui se cramponnent au garde-fou de la « psychologie générale », ne sont même pas capables de lire ;, dans ces cas éclatants, que FREUD fait aux sujets « répéter leur leçon » dans leur grammaire ». La conception de l’auteure donne lieu à des confusions et à des inepties théoriques telles que celle qui est entretenue entre la subjectivité et les subjectivités, au sens d’individualités ou d’entités, qui aboutissent à des impasses cliniques et thérapeutiques. Ainsi, l’amalgame entre l’unarité et l’unité ne peut qu’aggraver le symptôme de ceux qui se trouvent coincés dans une problématique, alourdie par des considérations idéologiques qui empêchent le passage d’un discours à un autre. Leur enlacement et leur attachement –celui de ses patients et le sien propre- à la raison bilatère ou à la raison du tiers exclu, sont intenses. Ils résistent à tout évidement censé susciter et produire un passage à un discours, qui tienne désormais compte du vide, auparavant méconnu, voire dénié. Dès que la modernité est invoquée et convoquée, les théories ontologiques les plus éculées reprennent de la vigueur, d’autant que leurs fondements initiaux sont dissimulés par des emprunts faits à des discours, qui leur sont radicalement incompatibles.

Dans ce contexte idéologique, le « trabendisme » (colportage), doublé de larbinisme supplétif, se pare de préoccupations nobles et généreuses, nourries par « la folie de la guérison », promue et cautionnée par certaines officines françaises, qui n’ont aucun scrupule à adapter le discours analytique et sa logique spécifique à ladite modernité, dont les objectifs majeurs sont dictés par une fétichisation des constructions sphériques et bilatères, à la hauteur des capacités de compréhension des anciens colonisés. Incapables d’accéder à la complexité de la logique, mise en oeuvre par l’inconscient, ils passent pour être déficiants sur le plan intellectuel, alors que l’échappement, inhérent à la fonction signifiante, ressortit à la condition d’être parlant, à laquelle ils appartiennent irrémédiablement. Autrement dit, la structure subjective échappe parce qu’elle engendre des effets qui maintiennent sa persistance implicite dans la diversité des conséquences qu’elle autorise et induit, même lorsque des constructions prétendent la mettre à bas, pour s’en libérer définitivement et garantir un être, déjà disparu pour toujours, en raison de la naissance et de l’avenue du sujet.

Si les conceptions duales et fixistes se parent de concepts analytiques, c’est pour mieux ourdir leur défiance contre l’inconscient. Elles entravent la mise en continuité de ce qui est distinct, différent et ce qui est identique globalement : en effet, quelles ques soient les conceptions qu’un être parlant défend et met en avant, il reste et demeurera toujours un être parlant, même s’il cherche à l’oublier et à le méconnaître. En un mot, « la folie de la guérison » qui frappe certains larbins en quête de parts de marché, fait vendre de la suture de la structure, et conduit inévitablement à une aggravation de la pathologie, en accentuant et en renforçant le lien avec les promoteurs de l’aliénation sociale. En se présentant comme des spécialistes de la suture, ils bafouent et piétinent l’aliénation signifiante, nécessaire à l’advenue et à la reconnaissance du sujet, comme négation de l’être. Croyant rendre service à la psychanalyse en la présentant comme la solution idéale de suture de la division subjective, en vue du recouvrement d’un être accaparé par le colonialisme, ces adeptes de « la folie de guérir » infligent à la subjectivité des outrages, préjudiciables à « l’ex-sistence ». En élévant le colonialisme au rang d’agent causal primordial des traumatismes, ils renforcent les idéologies au service de l’aliénation sociale, et contribuent à la dégradation de l’aliénation signifiante que le discours analytique privilégie , tout en remettant la première à sa juste place. Ils délestent ce dernier de son hérésie qui subvertit la causalité déterminée par la raison classique, et bouleverse la temporalité qu’elle impose entre l’antécédent et le conséquent, à l’œuvre cependant dans toutes les théories aliénistes et hygiénistes , exclusives du sujet, même si l’usage de ce terme est pléthorique. L’opportunisme politique, lié à cette « folie de la guérison », est patent. L’idéologie dominante se consolide toujours un peu plus grâce à des spéculations dégoulinantes d’humanisme et de prétention oblative. Elle promet la restauration, voire la résurrection d’ un être, dont la mort et la perte définitives sont nécessaires à l’avènement du sujet et de ce qui l’anime : le désir. Il tire toute sa force de l’objet qui le cause (a) et fonde sa négativité, confirmée par cette incomplétude qu’impose l’ordre symbolique à tout être parlant.

En effet, -et même si c’est de façon implicite-, c’est bien cet ordre symbolique dernier qui a été nécessaire pour mobiliser tous ceux qui voulaient faire échec au colonialisme et à sa toute puissance militaire. Il a également permis de disqualifier les théories idéologiques pseudo-scientifiques, comme celles qui ont été mises au point par l’Ecole psychiatrique d’Alger, dont les fondements théoriques restent encore en vigueur, et continuent de faire des ravages, même parmi ceux qui se déclarent opposés à elle. L’inconscient fait échec à la raison, à la rationalité qui est à l’œuvre dans ces idéologies insolentes, qui refusent d’admettre que le bilatère ou le sphérique qui les constitue, provient du vide et du manque à être qu’elles échouent à suturer, tant il leur échappe et les excède, en révélant aussi bien leur faillite, qui renvoie en vérité, non plus à une impuissance temporaire mais à une impossibilité d’ordre structural. L’accaparement du sujet, associé à la méconnaissance du « troumatisme » ou « refoulement primordial », qui consacre la mort de l’être et la fin de toute complétude, pour donner naissance au sujet, a tendance à inciter à forclore la dépendance du symbolique. En subvertissant cette raison sphérique qui « tourne en rond », l’inconscient favorise l’avènement d’une nouvelle raison, enrichie par le vide qui permet de nouer, selon une dialectique inédite, des dimensions qui, au lieu de s’anéantir dans une opposition stérile, vont s’articuler au fur et à mesure de la mise en évidence de l’évidement des constructions qu’elles initient. Cet évidement est un enrichissement, qui récuse catégoriquement le « trabendisme » intellectuel, consistant à mettre à la disposition de populations sous développées, des idéologies dont la logique frelatée renforce en définitive des traits (« narcissisme des petites différences »), qui trouvent leur place dans des constructions nationalistes rétrogrades. Il s’agit de réduire l’altérité à des différences, sans le recours à l’Autre, qui consacre la négation du tout.

Pour éviter ce genre d’errements, il est nécessaire de participer à l’écriture ou à la ré-écriture d’une Histoire qui tiennent compte de la subjectivité en tant que l’inconscient fait intervenir une altérité essentielle, qui dépasse les notions d’individu et de personne. C’est d’ailleurs ce que la pathologie nous permet de mettre en évidence lorsqu’on lui donne l’occasion de libérer ce qu’elle recèle, et qui contredit les tenants de l’homéostasie harmonieuse, obtenue par suture du vide et épuration de l’inconscient, au profit du moi et de son infatuation.

La subjectivité, définie comme la négation de l’être, induit la féminité en tant qu’elle fonde la différence sexuelle sur des rapports dialectiques qui articulent l’avoir et l’être, sous la houlette du phallus, sans qu’aucun d’eux pourtant, ne parvienne à une complétude ontologique. Passer sous silence cela, et intégrer des notions psychanalytiques voire des concepts fondamentaux, dans une théorie anthropologique qui, serait alors idéale, conduit à l’échec et compromet le discours analytique comme lien social, qui fonctionne à la négation en subvertissant toute prétention à la complétude, afin de préserver le désir essentiel à l’existence. C’est pourquoi, FREUD s’est fermement opposé à la médicalisation et à la psychologisation de la psychanalyse pour nous encourager à développer une psychanalyse laïque, permettant grâce à une lecture correcte du symptôme, de réanimer, de réactiver ce qu’il fige, fixe et coince quant aux éléments et dimensions qu’il contient, et qui le constituent.

 

Le verbiage, la phraséologie pseudo-analytique, la vulgate freudienne et/ou lacanienne, insipide, détériorée et avariée se retrouve dans divers salmigondis, constitués de formules alambiquées et de contorsions rhétoriques, qui « font les choux gras » de la modernité néo-coloniale. Ainsi, elle continue de posséder (duper, rouler) ceux qui ont mis à bas ses projets destructeurs de la subjectivité : elle les « gave » de conceptions ontologiques et prédicatives, dont l’échec est imputable aux différents régimes et pouvoirs politiques dont ils se sont accommodés depuis leur indépendance. Les théories condescendantes à l’égard de populations encore immatures, incapables d’accéder à la « démocratie » sont exportées via des « trabendistes », autorisés à fabriquer et à livrer des tombereaux d’inepties, prétendument libératrices, alors qu’elles bafouent la subjectivité. Quant aux différentes officines françaises qui fabriquent de tels produits idéologiques en exploitant le discours analytique, elles tirent profit du déclin du capitalisme français, en valorisant la médiocrité de constructions diverses, qui servent à dissimuler obstinément les fondements de ce système économique et politique. Cette dissimulation est renforcée par l’exportation de produits culturels de bas de gamme, d’une camelote (khourda en arabe algérien), parfois attirante par son exotisme, qui trouvent preneurs et gagnent du terrain, sous le regard de régimes politiques qui les acceptent d’autant plus favorablement qu’ils sont présentés comme des moyens thérapeutiques nouveaux.

Mais cette camelote, enveloppée dans des oripeaux clinquants, aussi « tape à l’œil » que « trompe-l’œil », participe à l’avilissement des populations auxquelles elle est destinée et réservée. La promotion du bilatère univoque fige dans une logique sphérique, facteur d’ accroissement et d’accentuation de la tyrannie régnant dans des rapports sociaux, qui rejettent l’altérité, issue de la subjectivité. L’équivalence entretenue par les camelots, entre cette dernière et l’individualité, en est un exemple parmi d’autres. Les réseaux qui cultivent la médiocrité, soutenue par la suprématie de la logique sphérique, hostile à la récursivité *, partagent un entre-soi confortable qui, tout en ne lésinant pas sur les pleurnicheries compassionnelles, font main basse sur des parts d’un marché de l’homéostasie psychique, soumis aux règles de « la folie de la guérison », entendue comme adaptation à u[3]ne démocratie de façade, toujours grosse de relents néo-coloniaux, et toujours prête à recruter des larbins dont la servilité à l’idéologie dominante est proportionnelle à l’hostilité vouée à l’inconscient. Aussi tout larbin, identifié au moderne modéré, se voit encensé, surtout si ses élucubrations sont loyales et fidèles à cette démocratie, qui n’a de cesse d’abraser l’hérésie du discours analytique, considéré comme complexe et dogmatique de la part des défenseurs et des protecteurs de la logique du tiers exclu. En feignant de combattre les régimes politiques tyranniques et despotiques à partir de l’idéalisation de cette démocratie, la logique univoque qui préside à toutes les élucubrations psychologisantes et pseudo-analytiques colportables, finit par sacraliser le bilatère, c’est-à-dire la dualité qui fait valoir l’antagonisme de deux dimensions opposées, et qui élimine toute possibilité de les dépasser, en les mettant en continuité l’une avec l’autre, alors que chacune est reconnue dans sa spécificité-même. La dialectique moebienne, à l’œuvre dans l’inconscient, est bannie de ce type de construction idéologique, qui se montre incapable d’intégrer la dialectique que toute métaphore entretient avec la métonymie.

Le principe logique de « présentification de l’absence », qui est à l’œuvre dans le « Nom du Père » (LACAN), promeut le désir en tant qu’il intègre et comporte définitivement la Loi du ratage de la complétude, et de la plénitude ontologiques, fondée sur l’interdit de l’inceste, véhiculée et soutenue par le primat du signifiant. D’autre part, si tout être parlant ne peut récuser la polysémie (pluralité sémantique), il n’en reste pas moins que la rapporter au primat du signifiant n’est pas évident, tant la séparation d’avec le signifié, malgré les effets manifestes qui en découlent, est difficilement acceptable, notamment à cause de l’écart irréductible entre l’un et l’autre, et qui devient le lieu d’échappement de la vérité.

Toute réflexion historique, qui exclut l’inconscient de ses préoccupations, est grosse de régression intellectuelle. Celle-ci, aggravée par la pression et l’impact des idéologies à visée prédicative et ontologique, ne cesse de progresser, tout en excluant certains instruments conceptuels, réputés complexes, parce que rigoureux et tranchants, quant à la dissection et à la dissipation des enfumages idéologiques qui se succèdent au fil des significations successives, mais dont certaines s’imposent par la force et par le pouvoir que s’arrogent ceux qui les ont construites. Le grand récit national ou le roman national, est souvent l’œuvre d’idéologues qui censurent la polysémie en flattant par exemple, avec la bénédiction d’une majorité, « le narcissisme des petites différences », qui, en nourrissant un nationalisme obtus, participe au déni de la subjectivité, récupéré par tous les idéologues, qui ont cru et continu de croire qu’il y a un « être algérien » ou « un être de l’Algérien », qu’il faut restaurer coûte que coûte, en faisant main basse sur l’Histoire. Alors que celle-ci ne cesse de mettre en échec toutes les prétentions paranoïaques au recouvrement d’une complétude ontologique. Pourtant, si une histoire, qu’elle soit collective ou individuelle, peut être homogène, c’est au prix d’intégrer toute l’hétérogénéité qu’elle doit à sa dépendance du primat du signifiant : les différentes interprétations qui la constituent, au-delà leur variété et de leur diversité, mettent surtout en évidence leur enracinement dans un ordre symbolique qu’aucune d’entre elles ne peut maîtriser, ni suturer par une quelconque signification, aussi valorisée et idéalisée soit-elle, pour refouler son origine. C’est ce que nous enseigne aussi la clinique de la subjectivité, ainsi que l’envisage et la conceptualise la psychanalyse. Grâce à la « déraison » qui caractérise le symptôme en tant qu’il dérange et perturbe la raison classique (celle du tiers exclu), considéré comme la seule valable, la psychanalyse a permis de mettre en évidence une autre raison, celle de l’inconscient, qui témoigne d’une altérité, radicale et irréductible, constitutive de tout un chacun, et qui se nomme inconscient. Cette altérité s’exprime en négativant et en perturbant la raison classique, celle que le moi défend, laissant accroire que l’une est exclusive de l’autre. Cette position est à l’œuvre dans le symptôme en tant qu’il récuse la dialectique moebienne qui met en continuité l’une avec l’autre, sans pour autant les confondre ou les amalgamer. Elle est aussi à l’œuvre lorsque le groupe vient renforcer l’individu dans son refus de reconnaître la dialectique subjective et son effort de faire échec à l’altérité, introduite par les formations de l’inconscient. Le groupe et l’individu se coalisent dans les foules pour contrer la subversion de la raison classique, parce que le vide qui affleure et émerge alors, est insupportable s’il fait échec à toutes les prétentions à la totalité et à l’unité imaginaires. Aussi, une des questions à traiter, peut-elle se formuler ainsi : comment écrire une histoire nationale en mettant en avant toutes les dimensions qu’elle implique et suscite, avec toutes leurs articulations dialectiques qui risquent de subvertir la raison classique, en donnant naissance à des schémas de causalité inédits et à des rapports nouveaux et audacieux entre l’antécédence et la conséquence, selon une temporalité renouvelée quant aux liens entre la chronologie et la transcendance, retrouvés grâce à la prise en compte de la structure du signifiant, constructeur de toutes les réalités, distinctes du réel, mais qu’elles métaphorisent et produisent, à chaque fois de manière différente. L’omniprésence de l’écart entre signifiant et signifié transcende les périodes et l’évolution historiques. Elle met en jeu la subjectivité et permet de mener un travail de subversion logique, débarrassé des différentes illusions de complétude ontologique, quêtée par toutes les idéologies fondamentalement réfractaires au sujet. C’est dans de telles conditions qu’il me semble possible d’écrire dignement une histoire, qui accepte d’être un palimpseste, où la trace de ce qui est effacé persiste comme fondement de ce qui lui donne naissance, au sens où un effacement est une déconstruction voire une destruction, nécessaire à une construction plus riche, dès lors qu’elle appelle à admettre et à reconnaître la dimension du vide, pour l’intégrer dans l’édification d’une nouvelle construction, libérée de l’ amnésie de la faille, imposée par l’ordre symbolique. Ausi « troumatisant » soit-il, ce dernier nous libère de la confusion qu’entretient toute interprétation avec la vérité, dont l’échappement et l’immaîtrisabilité permettent l’enrichissement de conceptions, figées et sclérosées, par leur rejet d’une ou plusieurs dimensions, et de leurs inter-relations, susceptibles pourtant de les réanimer et de les réactiver. En d’autres termes, comment parvenir à écrire l’histoire avec un grand « H » en tenant compte de l’amnésie inhérente au refoulement primordial, corrélatif de notre assujettissement, comme être parlant, à l’ordre symbolique, qui nous incomplète et par là même nous enrichit, en faisant de toute singularité une exception ordinaire? D’autre part, comment en outre concevoir une conflictualité, qui s’affranchisse de considérations et de références morales, puisées dans la « la belle âme », parfaite et sans faille, alors que « l’âme à tiers » ne cesse de nous mettre face à des contraintes, dont le caractère indépassable, les rend productives et enrichissantes ?

Comme dans la cure analytique, la résistance de l’analysant est d’abord celle de l’analyste qui, tout en ayant le loisir de s’agripper à la raison bilatère et sphérique des idéologies, surtout si elles se proclament humanistes, la confond allègrement avec la raison unilatère, non exclusive de celles-là, mais qui spécifie la logique spécifique du discours analytique en tant qu’il met au premier plan le signifiant et toutes les conséquences qui en découlent. Il en est de même pour un peuple et des rapports qu’il entretient avec la subjectivité, issue de la dépendance du symbolique et du signifiant. La lutte qui se mène en son sein, concerne le sens et les significations, issues d’interprétations différentes, se référant à des conceptions et à des idéologies diverses, dont la caractéristique première et commune, concerne soit l’ acceptation, soit le refus de la subjectivité et de sa logique. Comment récuser les liens narcissiques qui ligotent ? Comment réfuter les emprisonnements dans des théories prédicatives, conduisant au sacrifice du sujet ? Comment faire valoir la logique de la subjectivité, en dehors des références à la psychopathologie, pour réactiver le travail démocratique d’évidement qui doit concerner les idéologies de l’infatuation moïque, prêtes à tout, pour ne pas avoir à faire au sujet qui féminise, dès lors que la castration symbolique, imposée par l’assujettissement à l’ordre symbolique, et exécrée par tout ordre social, fait échec aux institutions et à leurs agents « orthothérapeutes », reconnus pour leur expertise dans l’éradication du sujet, vouée de toute façon à une vanité certaine.

                                                                           Amîn HADJ-MOURI

                                                                                    25/03/19

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

*Expression usitée en Oranie, notamment à Mostaganem et sa région, pour désigner des personnes éhontées, peu fiables et peu recommandables

* cf ses deux derniers ouvrages : « Maintenant la finitude. Peut-on penser l’absolu ? » (Flammarin 2019) et « La conscience a-t-elle une origine ? Des neurosciences à la pleine conscience : une nouvelle approche de l’esprit » (Flammarion 2014)

* Cf. les travaux et les avancées de René LEW sur la récursivité, notamment « Les négations freudiennes » et « Imprédicativité de l’acte analytique » (Ed Lysimaque)

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