Je poursuis, ici, le développement de mon exposé sur ce don de soi, dont je soutiens qu’il n’y a pas de sujet sans don de soi.
Cela fait suite à la première partie que vous trouverez : ici.
Je dois préciser, avant de poursuivre et pour faire suivre aux remarques d’Amîn HADJ-MOURI ce que j’entends par don de soi.
Il ne s’agît pas de se donner corps et âme, tel que le l’indique le titre de ces réflexions, sous un mode sacrificiel. Il ne s’agît pas de se sacrifier tel un moine qui s’immole pour la cause, ou encore moins comme un djihadiste qui voudrait assurer une place au « paradis », à sa petite âme, à la droite d’un soi-disant Dieu, en se faisant exploser le corps.
Il me paraît primordial, pour la pratique de la psychanalyse, de reconnaître et donc de la traduire autrement que cela l’eut déjà été fait : la qualité du fantasme et celle de l’angoisse. Cela, partant du principe que nul sujet (de l’inconscient) n’y échappe, du fait de son inscription (nomination du sujet du Dire comme fonction) nécessaire dans la relation à l’Autre. Cela suppose le désir de l’Autre : la demande certes, mais aussi : le don. Autrement dit, sans cette acceptation du don de soi, que je précise ne pouvant n’être que part de soi, il n’y aurait renoncement à L’Être ; ce qui se définit depuis le terme freudien : Das Ding.
Ce que nous avons à éclaircir, en tant qu’analysant puis comme analyste, c’est la qualité de ce don. Quel est l’objet du don ? Quel est-il si ce n’est ce que ça aurait pu être à priori, à savoir : corps et/ou âme ? Si l’angoisse est de se (les) faire piquer, qu’en est-il réellement ?
J’espère pouvoir éclaircir ce que j’en entends par cet exposé et, ainsi, lever quelques malentendus. Il est, en tout cas, entendu que l’interdit de l’inceste, porte traduction symbolique de l’impossible de l’Être pour ce sujet du langage dont nous faisons l’objet de nos travaux. Interdit et impossible donc de se donner en réel, c’est-à-dire : en chair et en os… Et en âme. Cela fait fantasme et c’est bien ainsi : porté par ce fantasme, que le sujet se trouve représenté comme part (pulsion partielle) de la relation d’objet.
Dans cette 2e partie, je fais un aparte sur la question de l’autisme dont les membres de l’AECF ont choisi de faire le thème des conférences de cette année 2019-2020.
Benoit LAURIE, 16/12/19.
Être pris ou s’éprendre – Autisme
Rappelons-le, ce terme « autisme » est construit (par Eugène BLEULER) par la contraction « d’auto-érotisme ». Si on ne parvient plus à entendre ce dont il s’agit lorsqu’on parle d’autisme aujourd’hui, depuis que la catégorie inclue tout et n’importe quoi en terme de symptomatologie, rappelons ce que cela désigne par définition.
Dans « auto-érotisme », entendons la dimension narcissique dont je vous ai décrit la logique ; une logique qui suppose la dialectique de la fonction narcissique primaire et de la fonction de l’Autre. La problématique de l’autisme est précisément la mise en défaut de cette dialectique ; point sur lequel l’autisme et la psychose se rejoignent.
L’autisme se différencie de la psychose relativement à la situation de ce qui fait barrage à cette dialectique. Je vous invite, sur ce point, à vous référer, comme je le fais ici, à ce qu’en dit René LEW : le psychotique serait « bloqué » du côté de l’extension : dans ce qui s’exprime en prédicats (en objet) en tant que la pluralité inhérente au prédicatif y serait niée. Ainsi, le discours du psychotique laisse entendu de l’imaginaire pris pour Réel sans que la fonction symbolique n’y fasse suffisamment coupure. Par défaut de l’ordre symbolique, qui est aussi bien castration, manque la relance de la fonction narcissique primaire laquelle rappelle qu’aucun prédicat ne saurait suffire : du fait son imprécision, du fait qu’il ne peut être qu’une façon parmi tant d’autre d’exprimer ce qu’il en est du sujet et de son existence (son “ hors d’être”) …
L’autisme désigne ce qui ne trouve pas expression du côté de l’extension / du prédicatif, et qui resterait bloqué dans la logique du narcissisme primaire, comme si de l’Autre, il n’y en avait pas. La dimension de l’avoir n’a pas pris(e). La dialectique de la fonction de l’Autre à la fonction narcissique primaire ne fait pas jeu, dans la mesure où aucun prédicat ne se présente suffisamment pour être mis à mal et ainsi assurer la relance du désir.
De fait, c’est la représentativité qui est en défaut. Autrement dit, l’autiste se fout des apparences, il ne joue pas le jeu du par-être ; ce jeu que les névrotiques jouent tellement qu’ils le prennent suffisamment au sérieux pour en oublier qu’il n’est qu’apparence (à par(t)-être).
Cela ne serait pas l’objet d’un mal, d’un mal-être comme on le dit, si cet « autiste » n’était pas pris nécessairement dans ce langage auquel sa naissance l’oblige. Comme tout-un-chacun, il dût n’être, c’est-à-dire : être pris par le désir de l’Autre.
Cet Autre qui insiste, est synonyme d’angoisse pour cet « autiste » dont le propre serait de tendre à Etre ; juste être, sans par-être. Ce par constitue, somme toute, une forme de protection : il n’y a, ainsi, qu’une part qui se donne ou qui se partage. Pour l’autiste, ce ne peut pas être par part, ce ne peut être que Tout qu’il se donne. Autant dire qu’il serait alors pris : bouffé, avalé, comme objet total… Angoisse car la représentation de soi ne joue pas, en tant qu’écart d’avec l’Autre.
On comprend, ainsi, que ce que manifeste le plus l’autiste est une forme de : « Dégages ! ». Car tout ce qui se manifeste comme Autre fait signe d’une menace d’annihilation ou d’anéantissement. Mieux vaut donc éviter toute perception de ce qui fait ainsi signe : comme menace d’anéantissement.
Pour l’autiste, le don -ce don nécessaire- ce ne pourrait être que : corps et âme. Après ce don, il ne resterait plus rien. Là où le sujet, en tant que divisé, est appelé à se reconnaître comme défait d’un reste qui participe, non pas à n’être plus rien, mais à n’être que représenter par part, l’autiste ne le pourrait.
Actuellement, avec la prétention de la science du déni du sujet (science sans conscience…), ce qui est recherché c’est la cause de l’autisme. Ainsi, en vient-on à des aberrations telles celle de désigner la mère cause ou le gêne cause, etc.
Peu importe la cause lorsqu’il s’agit de constater cette condition de vie pour ces sujets que nous percevons comme autistes. Le mieux que nous puissions faire est de signifier le plus précisément possible, avec les outils dont nous disposons, ce que nous entendons par ce terme.
Pourquoi « auto-érotisme » ? Pourquoi ce terme serait-il encore valable, si ce n’est pour y entendre le défaut de l’Autre dans la relation qui s’impose nécessairement à chaque sujet ? Il n’y a de sujet, que sujet du langage, et aussi bien : sujet de l’inconscient. Ce qui signifie que chacun naît comme Un parmi tant d’autres et que du fait de cette différence, il se coltine les contraintes (et les angoisses et fantasme) que cela suppose.
Le mythe de Narcisse témoigne certainement de ce que nous appelons aujourd’hui : autisme. La représentation y est prise pour Réel, si bien que lorsque son imperfection en tant qu’elle n’est qu’image, que décalage par rapport au Réel, surgit, c’est l’Angoisse et parfois le désir d’en finir. Là, il s’agira de ne plus se donner corps et âme, mais de ne donner que ce corps qui ne pouvant qu’être aperçu, par bribes de représentation, contraint l’âme.
LACAN nous a donné cet indice : « l’âme-à-tiers ». Ici-bas il ne saurait y avoir d’âme qu’entre-aperçut à travers ce tiers qui est forcément matérialisé.
C’est cette matérialité, en tant que contrainte, du fait de son implication nécessaire du tiers (l’Autre), dont l’autiste semble se défendre. Les seuls objets qu’il utilise à souhait ne semblent que faire prolongation d’un corps qui tourne en boucle, dans une forme de jouissance narcissique.