Cher(s) (es) ami(s)(es) et collègues,
« L’unité immédiate dans laquelle la production coïncide avec la consommation et la consommation avec la production laisse subsister leur dualité immédiate. La production est donc immédiatement consommation, la consommation immédiatement production. Chacune est immédiatement son contraire. Mais il s’opère en même temps un mouvement médiateur entre les deux termes. » (Karl MARX. GRUNDRISSE. Introduction de 1857)
« Quand la consommation se dégage de se grossièreté primitive et perd son caractère immédiat (…) elle a elle-même en tant que pulsion, l’objet pour médiateur. Le besoin qu’elle éprouve de cet objet est créé par la perception qu’elle en a. » (Karl MARX. Ibid.)
Pour mieux mettre à profit ce confinement, je voudrais apporter ma contribution au débat qui associe Oswaldo CARIOLA, René LEW et Marc SAINT-PAUL.
Je le fais sous la forme de ce texte court qui, ne répondant pas à tous les aspects soulevés par eux, tente de mettre l’accent sur ce qui me paraît essentiel, et qui est omniprésent dans leurs différentes discussions portant sur des questions topologiques et logiques. Leur échange peut donner l’impression que leur questionnement est trop éloigné de la clinique, qu’il est peu « pragmatique ». Aussi, à la lecture de leurs arguments, s’agit-il pour moi de concrétiser et de transformer (rugby) les « essais » topologiques en avancées théoriques et pratiques, utiles et fructueuses pour la clinique.
Pour moi, la topologie ne vaut que si elle m’apporte des éléments nouveaux et/ou supplémentaires, qui confortent le développement et la poursuite de la « compactification de ma faille ». Ce « work in progress » s’appuie sur l’impact déterminant de la lettre et de ses liens avec l’intension, liens qui soutiennent les lectures et les abords différents de la clinique. Tout d’abord, je pense que la lecture –sur cette base- de sa propre clinique, devient la matrice de toute autre lecture. Comme la topologie ne saurait être un « métalangage », je considère qu’elle est la mieux à même de rendre compte, afin d’éviter les risques de dévoiements idéologiques, de « ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire », qui traduit le non rapport. Ce dernier assure et contribue au développement de « ce qui ne cesse pas de s’écrire » sous forme de conceptions qui finissent toujours, en définitive par le mettre en évidence en tant que dernière instance, née de l’incorporation de la lettre, organisatrice des traces qui la caractérisent.
La négation structurale essentielle, représentée par le « non rapport », fonde tous les rapports que celui-ci impulse en tant qu’ils deviennent ses métaphores, sous des formes diverses d’écritures possibles, non sans qu’elles restent inexorablement fondées sur cette négation. Si la topologie consiste en une écriture particulière, elle ne saurait être idéalisée et hissée au rang d’un «super métalangage », transcendant cette négation inhérente à la dépendance du symbolique, et qui fonde tous les rapports, destinés in fine à la matérialiser, à la métaphoriser. La fonction de cette négation permet de présentifier « le non rapport » comme facteur de chaos (tuche et ratage/pulsion de mort), que certains rapports –comme les symptômes- peuvent révéler lors de leur déconstruction ou lecture analytique.
J’intitule cette petite contribution :
LA STRUCTURE SUBJECTIVE EST FINIE, ACHEVEE MAIS NON CLOSE.
ELLE « DE-FINIT » L’ETRE PARLANT ET L’OUVRE A L’ECHAPPEMENT QU’IL
NE CESSE DE PRODUIRE, ET QUI LE DEPASSE TOUT EN LUI ASSURANT SON
EXISTENCE.
OU
« Il n’y a pas de rapport sexuel » (LACAN)= interdit de l’inceste (FREUD),
source des pulsions et raison de leur ratage.
(« Automaton/tuche » et pulsion de mort).
La finitude de la structure subjective présente cette particularité qui consiste à n’admettre ni son achèvement, et encore moins son parachèvement par quelque artifice que ce soit (négation de tout « métalangage », fût-il d’apparence topologique). Elle induit cependant un inconvénient de taille : Laisser croire au « parlêtre » qu’il est capable de maîtriser ce qui le dépasse, au risque de faire obstacle au développement de sa pensée, dont les évolutions résultent précisément de ce qui lui échappe, et qui passe outre aux parades qu’elle peut mettre en place, notamment en recourant à des idéologies, dont l’objectif est d’accentuer la méconnaissance du fondement signifiant de tout énoncé, quel qu’il soit. L’échappement procède de la structure. Il en ressortit constamment et en est tributaire et ne lui échappe pas. Il ne s’en évade pas ni ne la fuit.
Cette finitude engendre la négation qui rend la structure fonctionnelle (Cf. le bouquin de René sur les négations et leurs effets concrets dans la clinique) en tant qu’elle met en place et en œuvre des discours, dont la différence fondamentale tient à la place qu’ils lui accordent. Ainsi, si la négation se traduit en contestation et en récusation, exclusive de l’impossibilité qui la sous-tend et la détermine, on est face au discours hystérique et à l’impasse sur laquelle il débouche immanquablement, faute d’intégrer l’impossibilité et l’aporie logique qu’elle induit en vue de redéfinir ce qu’elle engendre comme possibilités, indissolublement liées à ce qui se manifeste de contingences, mettant en jeu la nécessité de leurs traductions et de leurs relations sous forme d’énoncés contenant tous ces aspects, restée implicites, latents. En raison du « pas tout », impliqué dans les relations construites grâce au signifiant, la négation se joint à l’écart que le signifiant instaure en ratant le signifié. La métonymie est alors mobilisée comme concrétisation de l’ouverture, qui se traduit dans diverses métaphorisations. Le symptôme apparaît alors comme entrave à ce rapport métonymico-métaphorique pour continuer à « s’accrocher » à un signifié mystificateur, censé être apporté et garanti par un savoir ou une idéologie, peu enclins à articuler la vérité à la négation qui la rend problématique, et la perturbe en la rendant incertaine.
On peut se demander aussi pourquoi le discours médical, dont on loue l’efficacité thérapeutique, reste perméable aux perversions idéologiques, qui vont de l’ingénierie managériale aux pires expériences faites sur les populations juives européennes par les médecins nazis. C’est à mon avis parce que ses succès nombreux et divers renforcent sa structure, qui vise à se libérer de la négation, révélatrice de la négation propre à la subjectivité en tant qu’elle renvoie à la castration symbolique, de laquelle le discours du maître ne peut se départir et appelle en renfort celui de l’université . Contre cette impossibilité se dresse le fantasme qui consolide sa méconnaissance de la négation en recourant à des idéologies et à des conceptions ontologiques, chargées d’alimenter le symptôme individuel pour s’opposer à cette négation. Si celle-ci s’avère indélébile, c’est parce qu’elle affecte définitivement les corps : incorporée, elle donne vie au corps et lui assure une « ex-sistence », en rendant impossible le « rapport sexuel ». Aussi ne disparaît-elle pas avec les corps qui la portent (malgré les sornettes des histoires intergénérationnelles et l’avènement final d’une génération qui rendra caduque la négation). Elle continue et se prolonge en transcendant les histoires particulières pour mettre en évidence l’Histoire comme rencontre avec le réel, quelles que soient les formes dont il peut être paré.
Si la négation fonde la subjectivité en mobilisant le réel, la limite c’est à dire l’impossibilité qu’elle détermine avec le non rapport, organisateur de la sexualité des êtres parlants, cesse d’être une force inhibitrice. Elle devient au contraire l’assise d’une libération qui permet la subversion du symptôme en « sinthome », grâce à la possibilité de production de nouvelles articulations qui concernent les rapports entre masculinité et féminité. Celle-ci ne représente plus l’entrave qui s’oppose à la pleine réalisation de celle-là, comme le fait miroiter le fantasme, aidé par les perversions psychologisantes fournies par tout ordre social en butte à la négation, et partant à la subjectivité en tant qu’elle met en évidence l’inconscient qu’elle représente constamment. Le sinthome définit à mon sens la nouvelle position subjective qui indique que la déconstruction évidente des stratagèmes et des artifices complexifiant le symptôme, a pu s’opérer grâce à la mise en oeuvre de la négation en tant qu’elle libère d’un confinement dans des frontières étanches à la « littoralité » que ne souffre pas le symptôme, malgré toute son ambiguïté. La lettre est ressuscitée en quelque sorte par la négation que suscite tout discours, à partir de son fondement signifiant d’autant plus refoulé qu’il est adapté à l‘aliénation sociale, en fonction des valeurs qu’elle lui attribue.
C’est parce que la négation se traduit par ce qui fait radicalement défaut, qu’elle est sans cesse combattue, au risque de provoquer des fermetures théoriques, qui débouchent sur des mises à mort réelles. Sous prétexte de faire échec à ce qui fait défaut, le totalitarisme –en jeu dans tout symptôme- demeure incapable de considérer que ce dernier est l’effet d’une cause qui ne lui est pas immédiate, et dont les liens qu’elle noue avec lui ne sont pas mystérieux, même s’ils sont indéniablement complexes. Cette complexité s’aggrave d’autant plus que l’impossibilité, animée par la négation, est sans cesse défiée voire démentie pour laisser place aux théories « consolatrices », promettant qui l’extase du parachèvement, qui la fuite dans l’achèvement. Toutes s’avèrent cependant utiles pour être soumises –à l’instar du symptôme-à des déconstructions qui concrétisent la négation et les fonctions qu’elle autorise.
En conclusion, je dirai que le désir, en raison de ce qui le cause et qui renvoie au vide comme pierre angulaire de la structure subjective, entrave l’entropie de cette dernière, qui risque toujours d’être dévoyée par la rencontre avec un objet tendant à destituer l’objet a, gage d’ouverture et de préservation de « l’ex-sistence » et de la singularité, laquelle n’est plus hors du commun.
La négation que le désir promeut, perturbe et subvertit la « norme mâle » .Elle initie à une autre raison, à un autre entendement qui ne peuvent se passer de prendre en compte les apparences incongrues et anormales, pour en extraire et dégager une rationalité inattendue. Les obstacles et les points aveugles inhérents à la raison commune et à la doxa constituent des modèles de lectures de phénomènes (empirisme), qui empêchent l’approfondissement de l’évidement et la mise en abime des parades dissimulant le vide qui leur donne naissance et renforce ainsi son insaisissabilité. Cette caractéristique essentielle fait dire à mon avis à LACAN qu’il n’est « pas structuraliste » : la finitude de la structure subjective la « branche » sur le « transfini », entendu comme la négation de toute entrave objectale et objective au désir, toujours menacé de dégradation naturaliste et universelle. Ce « transfini », véhiculé par toute demande qui quête la complétude par l’amour, peut en émerger lorsqu’elle est recueillie par une adresse qui accepte d’y répondre en la subvertissant, c’est à dire en favorisant sa meilleure formulation afin qu’elle élabore sa propre réponse.
Amîn HADJ-MOURI
02/04/20
PS : mon premier écrit portant sur la négation date de 1988. Intitulé « De la bejahung à la verwerfung ou les avatars de la négation », il a été publié dans la « Lettre mensuelle » de l’ECF (juillet 1988).