DOCUMENT DE TRAVAIL / SEMINAIRE 26 NOVEMBRE

L’INCONSCIENT : NI « EXTRA-TERRITORIALITÉ », NI « MÉTALANGAGE », MAIS BIEN « LITTORALITÉ » !

Amîn HADJ-MOURI

Octobre 2022

 

 

Document de travail destiné aux participants(es) au « Séminaire clinique de l’EPSM d’Armentières » : « Qu’est-ce qu’une clinique sous transfert ? »

« Le grand savoir n’enseigne pas l’intelligence » (HERACLITE)

« Ce qui est contraire est utile, et c’est de ce qui est en lutte que naît la plus belle harmonie ; tout se fait par discorde » (HERACLITE)

« Si tu cherches la vérité, sois prêt à l’inattendu, car elle est difficile à trouver et surprenante lorsqu’on y parvient » (HERACLITE)

« Ne sachant pas écouter, ils ne savent pas non plus parler » (HERACLITE)

« Il n’y a pas de science de l’homme, parce que l’homme de la science n’existe pas, mais seulement son sujet » (LACAN LA SCIENCE ET LA VERITE

ECRITS.SEUIL)

« Le sujet est, si l’on peut dire, en exclusion interne à son objet » (LACAN. Ibid.)

« Moi est celui que je désire. Et celui que je désire est moi ». (H. Mansûr EL-HALLAJ. Dîwân. Ma traduction)

« Je suis Celui que j’aime et Celui que j’aime est moi

Nous sommes deux esprits dans un seul corps

Si tu me vois, tu Le vois

Et si tu Le vois, tu nous vois » (traduction de SAMI-ALI. « HALLAJ. Poèmes mystiques. Albin MICHEL)

Les trois concepts lacaniens, inclus dans le titre de cet écrit, sont essentiels au discours analytique, que LACAN a formalisé sous la forme d’un « mathème » qui bouleverse celui « du maître », en introduisant du « chaos » dans la sphéricité qui le spécifie et l’identifie comme tel. Leur explicitation se fera de proche en proche, parfois peut-être de façon elliptique, dans les différents développements présentés ici.

LE DISCOURS ANALYTIQUE : « PERE-VERSION » DE L’HUMANISME, POURVOYEUR DE XÉNOPATHIE ET DE HAINE DE L’AUTRE

Le discours analytique, en raison de l’articulation dialectique qu’il met en acte entre l’objet, cause du désir, et le sujet, subvertit l’humanisme qui caractérise maintes idéologies qui prétendent et tentent d’exclure le sujet en tant qu’il représente l’inconscient qu’elles ne souffrent pas dès lors qu’il leur échappe. Les illusions imaginaires que nourrissent ces dernières renforcent la paranoïa (hypertrophie exacerbée du moi, destinée à nier l’Autre et à exclure le sujet), couplée à la débilité (hégémonie de la raison bilatère et récusation d’un principe logique comme celui qui postule que la différence locale ne supprime pas l’identité globale , et qui est représenté par la Bande de Moebius), laquelle organise les discours tendant à forclore la structure subjective ainsi que sa détermination par le symbolique qui postule qu’ « aucun signifiant ne peut se signifier lui-même » (LACAN).

Le transfert, en tant qu’il implique l’amour et le savoir, est « hérissé » de difficultés, qui sont autant de résistances opposées à la mise en évidence, grâce à la parole et à l’association libre, de cette faille essentielle à l’existence et à la singularité, à savoir le « défaut de rapport sexuel » (défaut de faire un, c’est-à-dire une entité absolue et totale que met en évidence la sexualité des êtres parlants), qui s’inscrit en faux contre toute complétude, qu’elle soit solipsiste et/ou altruiste, et quels que soient les recours utilisés pour la gagner ou la recouvrer. Ainsi, le savoir devient un moyen idéal pour s’affranchir -vainement- de l’ordre symbolique qui favorise la « docte ignorance » en tant qu’elle s’établit sur ce fait : que la vérité échappe à tout savoir défiant le signifiant comme « meurtre de la chose » et source de la représentation. L’incorporation du symbolique est inhérente au « troumatisme » ou « béance causale » (LACAN), qui, comme perte de toute essence naturelle, met en place « l’âme à tiers » et contribue à la construction du fantasme, promoteur de multiples réalités qui nouent le symbolique et l’imaginaire grâce au réel, nécessaire à ces dernières, qu’il excède (dans les deux sens du terme) par son échappement, et partant par son « indomptabilité ».

Dans le cadre du transfert, un acte analytique ne « fait des vagues » que parce qu’il rappelle et ranime ces fondements essentiels de l’existence, que le sujet condense dans ses épiphanies.

Ce moment « troumatisant » qui signe définitivement et irrévocablement la sujétion ou l’assujettissement d’un « être parlant », s’avèrera intemporel et immémorial par l’omniprésence de son absence, qui, définitive, est subsumée par tous les effets qu’il engendre (aliénation et castration symboliques), que le sujet représente, tout en affirmant sans relâche la vanité des convoitises ontologiques, entretenues par l’aliénation sociale, qui tend à forclore le sujet. Les obsessions perverses et totalitaires qui laissent accroire qu’elles sont capitales pour la libération et le progrès du genre humain délestent le « défaut de rapport sexuel » qui les enracine et les ancre définitivement dans l’ordre symbolique sans lequel il n’y a pas d’humanité. Le « troumatisme » leste chacun (e) et lui offre une singularité qui se caractérise par la façon dont elle exprime « ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire », à savoir l’impossibilité d’écrire ou de formuler un rapport unitaire absolu, un rapport de complétude totale, quelle qu’elle soit, et par quelque suppléance ou compensation que ce soit, Cependant, cette impossibilité soutiendra sans cesse toutes les possibilités qui « ne cessent pas de s’écrire » pour, en fin de compte mieux l’énoncer. « Bien dire » la condition de l’être parlant, qui est lesté par les effets du vide, issu de son « troumatisme », participe d’une gravitation qui le soulage et l’allège d’une aliénation sociale dominante et écrasante. L’incorporation du symbolique enracine l’être parlant (qui cesse définitivement d’être pour « parêtre ») dans ce « troumatisme » qui se traduit par un « manque à être » perpétuel. Ainsi, les rapports de causalité, privilégiés par la raison bilatère ou sphérique, pour le moins oublieuse de ce dernier, sont profondément perturbés. Cette incorporation dénature partiellement le corps en l’affranchissant tout aussi partiellement des lois de la biologie. Elle induit une subversion du corps telle, que « l’être parlant » cesse d’être déterminé et défini uniquement par sa seule anatomie. Le sujet, qui procède de cette incorporation, est maudit par le moi qui rencontre un obstacle infranchissable, c’est-à-dire une impossibilité, celle qui marque la jouissance phallique ou la plénitude et la complétude ontologiques.

Quant au savoir, qui dépend du signifiant, il est organisé de telle façon que la vérité lui échappe et le dépasse. Sa constitution est ainsi déterminée, et ses progrès sont de ce fait assurés par le ratage qu’induit l’insaisissabilité de la vérité en tant qu’elle met en évidence le réel.

Aussi, est-ce essentiel que la cure analytique ne cesse pas de subvertir la demande, induite par le symptôme. Il s’agit de faire émerger des différentes expressions de celui-ci le savoir qu’il mobilise, mais qu’il contient en méconnaissant et en maintenant insu ce qui ne cesse de rappeler la structure du sujet en tant qu’elle n’est jamais ignorée. C’est ainsi qu’une raison inattendue et un entendement nouveau peuvent advenir, en même temps que la vérité, toujours « mi-dite. Le changement de paradigme et l’avènement d’une logique insoupçonnée tant elle refoulée ne procèdent que de ce que, dans le transfert, le sujet ne cesse de rappeler, à savoir le « manque à être » dont il est le nom, et qui exclut la psychanalyse des sciences dites humaines, ces « sciences de l’homme » établies sur des conceptions humanistes qui ne souffrent pas l’incomplétude ontologique dont témoigne sans cesse le sujet. Agent principal de la « père-version » en corrélant la négation avec l’interdit de l’inceste en tant qu’il persiste à la disparition du Père, dont la fonction est désormais intégrée et assimilée, le sujet confirme l’Autre en tant qu’il rompt avec toute ontologie totalitaire et imaginaire, au service du moi, et promeut en dernière instance une imprédicativité qui témoigne de l’inconscient, en faisant valoir la signifiance incluse dans tout énoncé.

La concomitance du « troumatisme » et de l’incorporation du symbolique, via la nomination des choses, instaure la représentation qui anime la métaphorisation de ce qui constitue l’existence en tant qu’elle ne se départit plus de la polysémie, et partant de l’équivocité, voire de l’ambiguïté. Toute ce qui ressortit à la « cognition » est soumis à la « présentification de l’absence », qui entretient les différents niveaux d’abstraction, en fonction de la prise en compte des rapports que lient entre elles, la raison bilatère (mise en jeu de deux dimensions et exclusion de la troisième qui renvoie au vide et à ses effets, considérés comme nuls et non avenus par ce type d’entendement) et la raison unilatère (prise en compte et intégration de cette dimension du vide considérée comme opérante grâce aux effets concrets de ce qui n’est pas saisissable d’emblée et en soi). Cette dernière promeut une négation que l’Autre entretient pour donner corps à l’inconscient qui se manifeste par des formations qui préservent du négativisme, par lequel est tenté la raison bilatère. Celle-ci est d’autant plus nécessaire que le moi lui accorde une priorité abusive, au point de ne rien vouloir savoir de la négation et de sa fonction, notamment à travers la signifiance.

Aussi, l’acte psychanalytique, indissociable du transfert, restitue-t-il à la parole ses lettres de noblesse en introduisant le chaos dans l’hégémonisme de la raison bilatère qui ne cesse d’entretenir, par divers moyens, les illusions ontologiques nourries par les multiples idéologies adeptes du « métalangage » et de l’éradication du « défaut de rapport sexuel », inhérent au « troumatisme », inaugurateur de l’unilatère qui n’implique d’aucune façon la fin du bilatère.

C’est ce rapport particulier entre l’unilatère et le bilatère qui permet à la psychanalyse de ne pas être identifiée à une idéologie, dont la finalité et l’idéal consistent à « triompher » du « défaut de rapport sexuel ».

Pourtant sans ce dernier, l’amour n’aurait pas sa place, issue de la valeur qui lui est attribuée. L’amour procède en effet de ce défaut et se propose d’y remédier d’une façon ou d’une autre, en vain. Ainsi, dans le transfert, la modalité de l’amour qui est censée advenir, doit-elle émerger de la négation de toute suppléance au défaut et de la confirmation du « troumatisme » et de toutes ses conséquences, dont celle qui rappelle la castration symbolique ou la dépendance irréversible et irrévocable de la dépendance de tout un chacun de l’ordre symbolique. L’aliénation qui en résulte, ne désunit ni ne clive le moi du sujet (sauf dans les psychoses). Elle les articule tous les deux, en les différenciant tout en les liant de façon si indissociable qu’ils se confondent. Cette aliénation spécifique met en œuvre une altérité essentielle (l’Autre ou l’inconscient). Elle renvoie au sujet qui fait valoir une identité partagée transcendant les personnes distinctes impliquées dans une relation, et perturbe l’intersubjectivité lorsqu’elle se réduit à des rapports interpersonnels, très souvent imbibés d’empathie pour mieux faire obstacle au sujet, comme négation essentielle au moi.

En battant en brèche la supposition de savoir et la « nostalgie » d’une plénitude ontologique récupérable, grâce au « sujet supposé savoir » le transfert subvertit l’intersubjectivité en conférant au sujet un statut qui transcende toute relation interpersonnelle, dont l’échange ne tient que par la parole et ses effets, explicites et implicites. Si la tâche analytique ne rompt pas avec les illusions ontologiques, quelles qu’elles soient, alors l’éthique du discours analytique se voit bafouée, au point que la psychanalyse se pervertit en idéologie xénopathique, qui rejette le sujet en tant qu’il rappelle sans cesse l’altérité négative qui renvoie au moi qu’« il n’est pas maître dans sa maison » (FREUD).

L’éthique du discours analytique contribue à bien formuler une problématique, malgré l’acharnement du moi à ne rien vouloir savoir de certaines dimensions concernées et engagées par celle-ci. Elle pousse à bien dire des hypothèses afin que certaines questions, dès lors correctement énoncées, trouvent leur élucidation qui permet de s’en débarrasser de plusieurs autres. Elle se concrétise par la patience et par la tempérance ou la « différance » (DERRIDA) qu’induit la subversion du discours du maître et ses alliés, laquelle subversion est soutenue par cette « père-version » que la parole met en jeu sous forme de signifiance qui renvoie à la castration symbolique et à une temporalité dépassant la seule chronologie. Sans disqualifier cette dernière, ni la rejeter, cette subversion vise l’émergence d’une autre causalité, pouvant mettre en déroute les fins limiers des « psycho-traumatismes », dérangés dans leur « réalisme » par le « troumatisme » (LACAN), lequel fait l’objet de leur sévère méconnaissance, voire de leurs tentatives désespérées de le forclore, contribuant ainsi à la consolidation de la « psychose sociale », qui conjoint paranoïa et débilité. Penser, revient à mettre tout énoncé à l’épreuve de la signifiance, qui ouvre la voie à la métonymie en tant qu’elle assouplit et déjoue tout risque de réification sémantique, notamment à travers les significations qui tendent à se figer et à se confondre avec le signifié, au point de bafouer la vérité.

Implicite dans tout énoncé, puisqu’il est issu de la dépendance du symbolique, mais toujours actif, ce « troumatisme » est intégré à l’articulation signifiante, qui l’intègre implicitement à toutes les présentations qu’elle est capable de produire, selon les moments qui articulent l’histoire, la chronologie et ce qui est toujours présent, omniprésent en tant qu’il constitue en filigrane la trace permanente de la structure. Cette omniprésence a besoin de la chronologie : elle la requiert en tant qu’elle s’avère nécessaire à sa mise en évidence. Nul besoin de la déconsidérer, mais nul besoin non plus de la surestimer ! Elle est nécessaire à la présentation (imaginaire) de ce temps implicite qui échappe et qui met en valeur la dépendance irrévocable de tout être parlant du symbolique en tant qu’il consacre définitivement la perte -par la nomination et les métaphorisations rendues dès lors possibles- de toute essence, ouvrant ainsi la voie à cette dimension si particulière qu’est le réel, matrice de toutes les réalités possibles, sans qu’aucune d’entre elles ne parvienne à le suturer en s’identifiant ou en se confondant avec lui. Cette dialectique entre la temporalité transcendantale de la structure et le temps chronologique requis par les présentations qui renferment celle-là, est promue par le vide inhérent au « troumatisme » provoqué par la perte de toute ontologie ou d’être (essence immanente et naturelle) assurant l’advenue du sujet, qui confirme que tout être parlant n’est que parce qu’il n’est pas…une entité autonome et absolue. Cette dialectique temporelle s’avère fondamentale dans le travail analytique, dans le sens où elle présentifie l’absence de tout être ou de toute essence, et démystifie le réalisme convenu qui réfute que le vide est opérant et saisissable à partir et grâce aux effets qu’il engendre, et qui ne le représentent plus que de cette façon désormais. C’est par ce biais que le transfert se démarque définitivement de l’intersubjectivité pour mettre en partage le « troumatisme » fondateur de la subjectivité, dont la réalité sexuelle rend compte tout en le complexifiant par le recours aux idéologies et aux conceptions bilatères, qui tiennent par-dessus tout à l’ontologie, même en annexant la psychanalyse à leurs pervertissements, et en lui promettant en retour une reconnaissance sociale.

LE TRANSFERT : DÉPASSEMENT DU BILATERE ET AVENEMENT DE L’UNILATERE A PARTIR DES ECHANGES DE PAROLE QUI ASSURENT LE PASSAGE D’UN DISCOURS A UN AUTRE, GRACE A LA PLACE NOUVELLE, VOIRE INÉDITE, ACCORDÉE AU SIGNIFIANT ET A LA SIGNIFIANCE

Même les psychoses qui procèdent d’un choix radical quant à cette réfutation du vide, finissent par échouer dans leur projet totalitaire de forclusion, par comblement du trou et sacrifice du sujet. Ainsi, leur traitement peut être envisagé, à condition qu’il ne soit pas trop entravé par la chronicisation institutionnelle que des savoirs exclusifs du sujet et de sa structure, entretiennent. La confusion entre le savoir et la vérité est portée à son paroxysme par tous ceux et toutes celles qui, en détenant et en exhibant un ou des savoirs à visée totalitaire, se mettent ainsi au service de la paranoïa et de la débilité, qu’ils (elles) incarnent en épousant un statut socio-professionnel confortant leur propre identité imaginaire. Et ce d’autant plus qu’ils (elles) deviennent une adresse pour ceux et celles qui présentent des symptômes, dont la signification, vite maîtrisée, conduit à ne plus prendre le temps de bien les formuler, de bien dire les demandes qu’ils renferment, et d’accéder au désir qu’ils « mettent sous le boisseau ».

La nomination signe la perte de l’essence des choses et procure un gain précieux : celui du vide, qui devient une substance propice aux possibilités métaphoriques. Cette perte ne saurait être compensée par celles-ci qui la mettent en évidence et en valeur, en conservant et en soulignant la polysémie qui rappelle la dépendance du signifiant et ses conséquences.

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