EN CONTREPOINT DU SEMINAIRE (PDF)
« Je ne me pose jamais de questions si la réponse la plus scrupuleuse ne m’avance à rien, je ne cherche jamais à résoudre un problème si sa solution définitive est sans conséquence. Le cul dans l’eau, je ne me demande pas si le chauffage central vaut mieux qu’un poêle. » Bertolt BRECHT. « Dialogues d’exilés ». L’Arche Éditeur. 1965
« Il n’y a que Dieu qui est » IBN ARABI
Les lectures « psychopathologiques », qui empêchent les troubles « psychiques » d’accéder au rang de symptômes, par et grâce à leur subjectivation, en les confinant à des signes, favorisent les quêtes ontologiques et identitaires, nostalgiques de la plénitude et de la complétude incestueuses. Elles ne sont pas l’apanage des seules instituions médico-sociales. Elles ont cours partout et ont tendance à devenir de plus en plus hégémoniques quand elles sont entre les mains de praticiens d’autant incompétents qu’ils sont tyranniques. La tyrannie promeut l’inceste et se met entièrement à son service, à la satisfaction d’une grande majorité de personnes qui ne souffrent pas l’inconscient, c’est à dire l’altérité qui les constitue. Aussi, pour qu’une institution médico-sociale s’affranchisse de l’inceste et des promesses ontologiques qu’elle encourage, est-il nécessaire pour des praticiens, un tantinet soucieux d’éthique, de se demander comment aider, par exemple des parents, pour que l’amour qu’ils vouent à leurs enfants ne serve pas in fine à « engloutir » ces derniers dans une aliénation sociale (réussite), qui mette en danger leur existence, fondée sur l’aliénation signifiante, toujours discréditée par les idéologies, exclusives de la signifiance.
D’ailleurs, ce qu’il est convenu d’appeler démocratie, n’est rien d’autre que la substitution d’une conception idéologique, prônant le bilatère, par une autre de même facture, qui se targue de mettre au jour l’échec de sa concurrente quant à l’éradication du « manque à être » et propose alors, voire impose une autre manière de procéder à l’exclusion du ratage, inhérent à ce dernier, ou à ce que LACAN a appelé « le défaut de rapport sexuel ».
Ces idéologies, aussi opposées en apparence, partagent le refoulement de ce ratage, qui ne cesse cependant de s’imposer en mettant en échec leurs prétentions arrogantes à « dompter » la structure subjective et à violer la Loi, issue du « meurtre de la chose » et de la « mort de l’être », qui donne naissance au sujet. En discréditant la signifiance, corrélative du sujet, ces conceptions, sous prétexte qu’elles sont différentes et diverses en apparence, pervertissent la démocratie en organisent un consensus autour de l’hégémonie du bilatère et de la forclusion de l’unilatère. Ce dernier reste omniprésent quoi qu’il en soit, d’autant plus qu’il met au jour l’échec de ces idéologies à rompre l’articulation dialectique entre la féminité et la signifiance. Cette articulation s’avère nécessaire à « la compactification de la faille » (LACAN), qui caractérise l’abandon du symptôme et la fin de sa « mission » en tant que médiation, indispensable à l’avènement et à la consécration du sujet.
Les idéologies, obsédées par l’éradication du manque à être, n’admettent pas leur échec. Elles continuent à refuser et à rejeter l’impossibilité de la jouissance de la complétude et de la plénitude, imposées par la structure subjective, qui bat en brèche l’aliénation sociale, pourvoyeuse de discriminations et d’inégalités multiples et diverses, qui ne sauraient être imputées à la subjectivité, malgré les arguments spécieux des idéologies psychologiques et/ou psychiatriques. Les drames individuels et collectifs, résultant des illusions ontologiques déchues et déçues, nourries par ces dernières, sont des occurrences, pour des personnes qui « souffrent », de s’adresser à des institutions spécialisées dans le surenchérissement de l’éradication du manque à être, honni par les camelots de l’harmonie individuelle, affiliés à la SAMCDA (Société d’assistance mutuelle contre le discours analytique) (LACAN). Le respect du sujet exige de s’émanciper –en les soumettant à l’analyse déconstructive- des idéologies qui exploitent le discours analytique pour « vendre » des théories du « savoir être », en vue de réparer le défaut ontologique, causé par l’émergence du sujet et la confirmation simultanée du primat du signifiant.
Confondre le discours hystérique avec le discours analytique, en les identifiant, revient à refuser « la compactification de la faille », et à maintenir des contestations et des remises en cause comme des illusions, destinées en fait à s’affranchir du manque à être, insupportable, sous prétexte qu’il entrave la liberté d’accès à la jouissance ontologique (de l’être). S’engager dans cette voie peut sembler révolutionnaire, surtout si la quête ontologique s’accompagne de la recherche de bouc(s) émissaire(s), au(x)quel(s) on peut imputer cette faute répréhensible et punissable. Nombre de réactions hystériques se présentent comme des révoltes légitimes, soutenues par des « victimes » qui usent, voire abusent de la position de « la belle âme », au point de la dégrader en imposture, qui empêche le travail de déconstruction nécessaire, pour se déprendre des objectifs ontologiques, et partant de « libérer » le discours analytique de l’impasse hystérique.
Il n’est pas rare de voir dans certaines institutions médico-sociales, comment l’usage du discours de l’hystérique est opposé en vain, au pouvoir plus ou moins tyrannique de la sémiologie psychopathologique et psychiatrique, alors que les références au manque à être structural ont beaucoup de mal à s’imposer, tant elles restent « fumeuses » et enténébrées par une phraséologie pseudo-analytique peu rigoureuse et très approximative. Ainsi, il n’est pas rare d’entendre que le « discours du maître », dont le mathème a bien été formalisé par LACAN, se réduit au sens commun et fondamentalement faux, à savoir le discours de quelqu’un qui sait ou prétend savoir, c’est à dire d’un maître d’école, d’un enseignant. Alors que le mathème lacanien articule de façon très particulière quatre positions, pour mieux mettre en évidence le rapport du signifiant (S1-S2) avec le fantasme (le sujet et l’objet a, cause du désir), à l’œuvre dans n’importe quel énoncé « conscient », proféré par le moi, quels que soient ses attributs et/ou prédicats.
Aider à détromper toutes les personnes qui attendent un savoir idéal et suprême pour enfin jouir pleinement de leur corps et en finir avec leur condition d’être parlant, est un objectif éthique qui contrecarre les buts de l’aliénation sociale, pourvoyeuse de conceptions « psychotisantes », exclusives du « défaut » constitutif du « parlêtre », indocile, rétif et réfractaire aux seules lois de la nature, de la biologie, dès lors que son corps a incorporé l’ordre symbolique et a mis en place une sexualité spécifique, dans laquelle la recherche du plaisir dépasse –et de loin- la seule reproduction de l’espèce. Les corps des êtres parlants, qui quittent désormais tout en soi, dès lors qu’ils sont soumis à l’ordre symbolique, mémorisent la lettre qui représente le sceau de l’incorporation du signifiant et caractérise leur aliénation en tant que l’ordre symbolique les délivre de leur essence et leur attribue une altérité inaliénable, fondatrice de leur « ex-sistence ». Cet ordre symbolique transcende tout ordre social qui le métaphorise, le subsume, voire le métamorphose sans pour autant le faire disparaître.
La sexualité humaine consiste en une dénaturation partielle du corps qui confirme la mort de l’être, la perte de toute essence, concomitante du « meurtre de la chose », instaurateur du signifiant et de la nomination, qui confirment la mise en place du rapport métaphoro-métonymique, propre à l’existence de tout parlêtre. Avec la quête et la convoitise de l’objet répondant au manque à être, la sexualité de ce dernier en demeure l’expression et la manifestation idéales qui permettent de mettre en évidence le fait que tout complément, destiné à combler ce qui manque, débouche sur un ratage, permettant au désir d’être toujours en plus, en excès par rapport aux possibilités offertes par ce qui est convoité, voire conquis. Le ratage ouvre ainsi la voie au « plus de jouir », qui assure l’impossibilité de la complétude et de la plénitude (jouissance phallique) comme fondement essentiel de l’existence, au sens où les possibilités ne peuvent se dégager que sur la base de cette impossibilité. Celle-ci procède de la Loi : l’interdit structural de l’inceste, dont le sceau est imprimé (lettre) à jamais dans le corps même de chaque parlêtre.
La mort de l’être engendre une quête ontologique en même temps qu’elle cristallise son ratage pour préserver le vide et mettre en œuvre la présentification de l’absence, qui scande le parcours de la vérité. Elle donne lieu à la primauté du symbolique dont l’incomplétude consacre l’écart irréductible, propre à l’existence, désormais placée sous les auspices du désir, qui signe la fin irrévocable de toute jouissance à visée ontologique. Le manque à être cristallise tout ce processus. Il inclut la féminité en tant qu’elle matérialise et met en œuvre concrètement les dimensions qui le constituent pour souligner et mettre en évidence le sujet, à partir de ses épiphanies. Ainsi, le consensus, obtenu grâce à l’hégémonie accordée au bilatère, et favorisant la forclusion de l’unilatère, peut être battu en brèche, afin que l’ « hommosexualité » (masculinité), dominante et triomphante, (regroupant et rassemblant aussi bien des hommes que des femmes) ne censure plus la féminité, corrélative du manque à être, commun aux deux sexes, même si les conséquences en sont différentes pour l’un et pour l’autre.
Lorsqu’un symptôme est réduit à un signe, lorsqu’il est « nettoyé » de sa polysémie, alors il ne peut que dénoncer le manque à être, qui devient la cause principale de souffrance. La souffrance est imputée au manque à être qu’il s’agit alors d’éradiquer car il entrave l’accès à l’être, et à la plénitude ontologique. Ce traitement « hommosexuel » du manque à être, source de souffrance, est déterminée et organisée par le moi, dont la sensibilité facilite la contagion émotionnelle (empathie). Cependant, sur le plan clinique, on voit bien que les tentatives de suturer ce défaut, deviennent elles mêmes, à leur tour, sources de souffrance. Elles mettent en danger l’existence en étouffant le désir, sous prétexte de ressusciter l’être et de l’incarner dans une identité, définie comme une entité absolue et immanente.
Les deux souffrances s’additionnent alors et se confondent au sein du symptôme, aggravant ainsi les conditions et les risques de sa chronicisation. La réaction thérapeutique négative est majorée par le transfert imaginaire, qui persiste à entretenir la nostalgie de l’être et à éloigner, avec le concours du surmoi, les manifestations du sujet que la parole parvient à drainer, mais que les procédures de réification sémiologique excluent. La souffrance est paroxystique lorsque le sujet est en souffrance, au nom du consensus établi autour de la suture du défaut structural, nécessaire à l‘existence. Cette suture signifie la forclusion du vide, constitutif de l’altérité qui subvertit la raison bilatère hégémonique. Elle est aussi abjecte qu’obscène : au lieu de contribuer à « la compactification de la faille » en soutenant la féminité, elle « réhabilite » l’inceste et se venge de cette altérité en produisant des impacts toxiques sur les rapports sociaux. Elle est à la base de la xénopathie, du rejet de l’altérité intime de chacun, et finit progressivement par engendrer antisémitisme, racisme et xénophobie.
La réification du trouble en signe univoque représente une catastrophe intellectuelle : le manque à être, lié au refoulement primordial et à la mort de l’être, qui constitue un « troumatisme » essentiel, consacre de manière décisive et définitive l’incorporation du symbolique. Il confirme par là même la castration symbolique et fait du « pas tout » le socle de la division subjective. La négation fait partie intégrante de la logique qui détermine désormais les lectures des symptômes subjectifs. Ainsi, la signifiance, qui fait écho à l‘équivocité et à l’ambiguïté sémantiques, n’est plus violentée ni violée dès qu’elle remet en question la causalité mécanique et réductrice, chère à la réification sémiologique.
Battre en brèche celle-ci revient à évider les propositions et les énoncés pour que le vide devienne la substance vivante du parlêtre, qui passe inexorablement par le « parêtre », pour souligner aussi bien sa séparation définitive de l’être, que sa préoccupation constante à le gagner et à se le réapproprier, en vain. Cette préoccupation est entretenue par l’illettrisme, développé par de risibles maîtres-penseurs qui sacralisent le discours du maître en le disqualifiant, souvent de manière hystérique, alors qu’il est nécessaire à l’avènement du sujet et au discours de l’Autre. Sans le discours du maître, les autres discours ne peuvent advenir. Et l’illettrisme, qui bafoue la lettre et le sceau définitif du symbolique sur tout ce qui peut concerner le parlêtre, se couvre de ridicule face à l’irruption de la signifiance et ses effets concrets : la polysémie, l’équivocité, la plurivocité, subversives des savoirs « érudits », visant la prédicativité pour s’assurer d’une garantie ontologique, toujours hypothétique et incertaine, notamment lorsqu’un trouble vient en témoigner.
Aucun discours n’est exclusif du moi : il cohabite avec le sujet et le suit comme son ombre, même s’il lui fait souvent de l’ombre et tente de s’en affranchir avec l’aide et les promesses tenues par les apôtres et les adeptes de l’illettrisme, qui laissent accroire que le savoir, les connaissances maîtrisent la vérité. La clinique quotidienne nous enseigne inlassablement que l’érudition s’avère incapable de détenir la vérité, à l‘œuvre dans un trouble, puis dans un symptôme. Elle nous confronte à une logique causale inédite, qui rompt avec le schéma mécanique et réducteur, isolant un « traumatisme objectif » et explicatif des effets qu’il est censé déterminer, alors que ces derniers, sous la forme de troubles, procèdent d’interprétations de la part de celui qui les rapporte et les relate, légitimement, sans les soumettre au travail d’évidement et d’analyse qui les élucidera. Même si l’illettrisme participe de manière plus ou moins spectaculaire à la disqualification du discours du maître, il renforce et consolide en vérité la suprématie du moi, en accord avec les objectifs de l’aliénation sociale, qui ne souffre pas l’inconscient et la fonction de négation qu’il ne cesse de relancer. Le consensus mortifère autour de l’élimination de cette dernière, notamment dans les institutions dites de soins, signe en fait la mise à mort du discours analytique, quelle que soit la phraséologie et l’enfumage psychologico-psychiatrique mis en avant. Il est au service de l’exercice despotique et tyrannique du pouvoir institutionnel en favorisant des pratiques de soins, fondées sur des corruptions conceptuelles et des dégradations théoriques, bien adaptées à l’aliénation sociale, fascinée par l’éradication de tout ce qui peut lui échapper et échapper à ses « savants », spécialisés dans la prédicativité ontologique.
Le vide ou « la béance causale », qui est à l’origine de l’ex-sistence subjective, et sur laquelle aucun parlêtre n’a de prise, se répète d’autant plus inlassablement et inexorablement que des idéologies abjectes, prétendent la combler au nom de la civilisation. Le pragmatisme et l’empirisme méconnaissent que le concret procède de l’abstrait : l’un ne va pas sans l’autre et vice-versa. Cette rigueur logique dépend complètement du signifiant qui instaure l’écart d’avec le signifié et l’échappement de la vérité, désormais saisissable uniquement par les effets qu’elle induit. Aussi, si des idéologues nous « matraquent » à longueur de journée pour nous apprendre que le monde change et qu’il faut s’y adapter, c’est pour mieux « mettre à mort » la subjectivité, et continuer à asséner qu’il faut à tout prix réaliser cet immense progrès qui consiste à suturer la signifiance et le vide qu’elle matérialise sous forme d’un échappement continu et perpétuel. L’Histoire des sociétés humaines rapporte à foison des exemples d’échecs de cet acharnement à suturer, à combler et à colmater ce que la structure subjective nous impose, et que nous nous refusons de savoir. Ces échecs mettent en évidence le succès constant du ratage, qui fait prévaloir le signifiant sur toute mainmise illusoire sur le signifié. Aussi, en ne cessant pas de refuser l’échappement, on finit par s’abîmer !
Pratiquer l’évidement en faisant valoir une raison qui tient compte du principe moebien que le sujet ne va pas sans le moi et vice-versa, menace et met en danger le pouvoir despotique et tyrannique, exercé dans les institutions par des potentats, obsédés par la destitution de toute trace de récursivité apportée par la parole, qui remet en jeu le signifiant tout en transmettant le vide, propre au sujet de l’inconscient. Les pratiques de l’évidement, qui honorent les institutions soignantes, s’appuient sur la béance et la faille pour les « compactifier » et les sublimer, grâce aux innovations et créations qui embellissent les différentes manières de rendre compte et de concrétiser l’échappement. Le ratage n’est pas un échec. Il ne désenchante pas, il mobilise car la béance acquiert désormais le statut de fondement inaliénable, qui soutient l’ « ex-sistence » en libérant le désir. Il n’y a aucun retour à un quelconque point de départ originel et salutaire que des idéologies s’approprient pour renforcer la méconnaissance et développer des conceptions identitaires aussi fausses que mortifères. La béance est à l’origine de l’avènement de la subjectivité : elle devient un point d’ancrage solide qui rompt avec toute illusion d’extraterritorialité/ le plus autiste des autistes reste, malgré toutes ses difficultés quant à l’intégration du « manque à être », marqué par cette béance caractéristique de la condition de « parlêtre », qu’il partage avec tous les autres êtres parlants, et dont il sait toujours quelque chose, malgré les efforts de l’illettrisme à « bétonner » la méconnaissance, qu’il confond allègrement avec l’ignorance. Si la méconnaissance renvoie à ce savoir insu dont on peut se rappeler, et qui constitue l’inconscient, c’est qu’elle est inhérente au discours du maître qui se veut d’autant plus réaliste et objectif qu’il tente de scotomiser le signifiant et ses conséquences majeures quant à la vérité. En effet, l’ex-sistence, inséparable du sujet, se fonde constamment sur une négation essentielle : la perte d’être, dont le « troumatisme », mis en avant par le discours du maître, à travers toutes les idéologies qu’il génère, est interprété comme une tare, empêchant l’accès à la jouissance de la plénitude et de la complétude, dont il faut s’affranchir coûte que coûte, et qui peut devenir la « cause » de toute une vie, sur les plans individuel et collectif. Les idéologies sont toujours là pour désigner les boucs émissaires auxquels cette tare est imputable. Ainsi, le manque à être structural et son corollaire le ratage de la conjonction, espérée grâce à un objet fantasmé, sont dévoyés et pervertis par des conceptions qui tendent à imposer une unité illusoire en produisant des théories prédicatives, à visée ontologique, exclusives in fine du sujet, alors qu’elles se donnent l’apparence ingénue de libérer « l’homme » (au sens générique) de sa misérable condition de « parlêtre ». Aussi, toutes les idéologies humanistes finissent-elles, à terme, parce qu’elles nient la négation propre à la subjectivité, qui soutient le sujet et l’ex-sistence, par rejoindre les « combattants » du manque à être, condamné parce qu’il altère la place centrale que s’octroie le moi, qui ne souffre aucune remise en cause ni aucune déconstruction de sa place, même s’il doit en passer par des troubles, compromettants son existence. Le refuge dans des savoirs qui promeuvent l’ »extraterritorialité » et le « métalangage » en tant qu’ils transcendent le manque à être, aggrave ces troubles dans la mesure où ils deviennent illisibles et mal dits par ceux qui, initialement cherchaient à s’affranchir de ce manque à être, et finissent en dernier lieu, par mettre en avant leur souffrance. Le consensus autour de la mise hors-jeu du manque à être, se paie cher sur le plan individuel : l’aliénation sociale, menacée par le sujet, c’est à dire par l’inconscient, le désigne comme son ennemi, et impose ses injonctions pour s’en libérer. Le moi est sommé de corroborer –par identification imaginaire- le portrait qui est fait de lui, afin que les forces qu’il en tire soient plus féroces encore contre le manque à être qui lui rappelle le « troumatisme » dont il procède. Grâce à sa structure particulière, le discours analytique se distingue radicalement des idéologies, qui tout en usant du signifiant, nient leur dépendance à l’égard de son primat. Elles se conforment aux structures des trois autres discours (maître, universitaire et hystérique), et restent malgré tous leurs efforts de déni, des métaphores qui finissent par mettre en évidence la signifiance, issue de la structure même du signifiant, et grâce à laquelle elles peuvent se voir déconstruites et dépassées, montrant ainsi que la vérité qu’elles croyaient détenir, leur échappe en fait, et leur permet dès lors de s’enrichir. Cette perte d’illusion devient un gain appréciable, notamment sur le plan intellectuel : à l’inhibition, voire à la débilité, induite et renforcée par l’aliénation sociale, peut succéder la possibilité de choisir la responsabilité, non seulement de dire ce qu’on pense, mais surtout de tâcher de bien le dire, après l’avoir d’abord formulé et explicité.
Le « troumatisme » est représenté par la lettre qui est incarnée dans le corps, lequel en est marqué à jamais : elle métaphorise la perte d’être et le vide fondateur de l’ « ex-sistence » en tant qu’il impulse la vie (pulsions de vie), nourrie dès lors du manque à être, qui consacre la « béance causale », propre au sujet de l’inconscient. Ce défaut essentiel et fondateur se retrouve dans les rapports objectaux : aucun objet ne parvient à éviter le ratage qu’il est censé éviter. Tout objet devient en fin de compte le vecteur du « défaut de rapport sexuel », et assoit plus solidement encore le manque à être. C’est ainsi que quels que soient les énoncés proférés, « Moi, la vérité je, parle ! », comme le remarque LACAN. En effet, elle emprunte la voie de l’échappement pour matérialiser l’écart irréductible entre le signifiant et le signifié. Ainsi, elle excède toujours un discours et ses prétentions à suturer cet écart-là. Elle sourd des énoncés et ne se laisse aucunement saisir de manière immédiate. Son excès incite ces derniers à s’étoffer et à s’enrichir afin de rejoindre le « plus de jouir », qui contribue et participe à la « compactification de la faille », concrétisant ainsi la valeur supérieure de ce qui ne se compte pas. Cette raison ou cette rationalité, inhérente à la lettre, finit toujours par avoir raison des conceptions bilatères qui l’empêchent d’arriver à destination, notamment en se livrant un combat sans merci pour mieux faire croire qu’elles viendront à bout, un jour, de l’inconscient et du manque à être qu’il instaure.
L’intégration de la lettre, son incorporation en tant qu’elle inaugure une raison inédite, qui dépasse la raison ordinaire, bilatère, associée au discours du maître, favorise la « com-préhension » du vide, dont l’absence est opérante à travers des effets concrets (présentification de l’absence), parmi lesquels le malentendu tient une place de choix. Il s’agit là d’une négativité constitutive et organisatrice de l’inconscient, qui demande à être mise en évidence, notamment à travers le passage du trouble au symptôme : subjectivation succédant à la réification et à l’objectivation sémiologiques. Aussi ne suffit-il pas de se proclamer, de manière plus ou moins démagogique, « non-analyste », pour que le discours analytique advienne « miraculeusement » ! Une telle pétition présente les mêmes risques ontologiques que celle qui laisse accroire que l’analyste est celui qui a accompli la réalisation de soi, devenant par là même le paradigme de la complétude et de la plénitude de soi. La négativité n’est aucunement respectée si une négation est absolutisée. Elle advient par l’évidement de constructions, opéré à partir d’une position rigoureuse quant au signifiant et à la signifiance, et qui la recèle au titre de la vérité, toujours médiatisée. L’entre-deux que la négativité soutient (ni toute l’une, ni toute l’autre des positions) permet à la logique moebienne de favoriser l’évidence de l’unilatère, afin qu’il prenne le pas sur le bilatère, sans qu’il y mette un terme définitif, ni l’éradiquer. La vérité conjoint les deux : ils lui sont indispensables. Elle établit leur distinction et les articule de sorte que la définition de chacun ne soit pas exclusive l’une de l’autre.
La faille qui fait écho au ratage est à approfondir et à étayer, afin que certaines élaborations prétendument lacaniennes ne finissent pas comme des brûlots anté et/ou anti-freudiens.
Mettre au travail toutes les négations incluses dans la négativité propre à l’inconscient, revient en fait à mettre au jour la prépondérance de l’ordre symbolique et de la féminité qui accompagne la dépendance dont tout parlêtre lui témoigne, même lorsqu’il la conteste. L’imprédicativité, conséquente à cette dépendance irréfragable, préserve du négativisme (psychotique) et permet de récuser de manière radicale, sur le plan idéologique, tout négationnisme pervertissant l’altérité, c’est à dire la place de l’Autre (l’hétéros) dans la subjectivité en tant qu’il met en échec la quête paranoïaque du moi, et sa conquête d’une unité sans faille, c’est à dire « libérée » du désir et de sa Loi.
Nous poursuivrons plus avant, durant les séances qui nous restent, la « densification » des rapports entre la faille, le défaut et le désir. Car c’est là que gît, à mon avis la vérité dont l’éclat peut nous « sauter aux yeux », sans que nous y soyons préparés le moins du monde, et sans pour autant que nous soyons disposés –sur le moment ou après-coup- à l’accepter ou à l’admettre.
Amîn HADJ-MOURI
01/11/2018