Je poursuis, dans cette 4e partie, mon élaboration sur le don.
Je m’y réfère particulièrement au Séminaire de J.LACAN sur « Le Transfert ». Il sera donc question d’amour mais aussi de ce qui spécifie la position et le discours de l’analyste. L’objet s’y trouve désigné comme déterminant de l’indéterminable, aussi bien que la jouissance phallique se rapporte à ce que pourrait être une autre jouissance dont « il ne faudrait pas que ce soit celle-là »…
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Donner sans s’avoir
Au point où nous en sommes arrivés, il apparait que l’objet du don n’est que construction prédicative, passagère, éphémère, venant soutenir le lieu de création.
Si la création est dite “divine” dans les discours religieux ce n’est pas sans nous y rappeler que cela nous échappe. Ce qui émerge du sujet le dépasse : “Je est un Autre” (cf. Audio conférence: “Je – est un Autre- parle avec mon corps”).
La création qui dépasse ce sujet, ce dernier en est pourtant l’auteur, le porteur. Il en est bien “sous le jet”, pour reprendre l’étymologie de sujet.
L’importance qu’aura donné LACAN à ce terme, au point que nous ne nous en passions plus, tient certainement à son équivocité, spécifiquement lorsque nous soutenons qu’il s’agit de “sujet du langage”… Comme on pourrait être “sujet de sa Majesté”.
Autant que pour le divin, il est entendu que nous ne sommes pas maîtres en la demeure ; c’est le caractère copernicien de la découverte freudienne de l’inconscient.
Dans son séminaire “Le Transfert”, LACAN reprend “Le Banquet” de PLATON, où nous trouvons des éléments clés de la maïeutique. Socrate se réfère à ce tiers personnage incarné par Diotime, une femme, instance du manque de savoir en Socrate lequel ne travaille qu’à faire émerger d’autres savoirs (in)sus de ses comparses sur ce thème qui n’en n’est pas des moindres : l’amour.
Il est d’abord question du mythe de l’Amour engendré par Poros et Aporia. Le premier pouvant être associé à l’opulence, ou encore à : l’épistémé, le savoir. La deuxième, quant à elle, pourra être associée à la Pénia, au dénuement ou à l’Amahtia, l’ignorance.
Ainsi, l’amour semble aboutir d’une rencontre entre le savoir et son contraire… Un savoir sans l’avoir. Ce qui est précisément ce que Socrate dit incarner. Sa force c’est de savoir qu’il ne sait pas. Ce qui ne doit pas être pris pour un savoir creux, Socrate étant précisément identifié à celui qui sait… Le “Sujet Supposé Savoir” dont il sera question à propos de l’analyste.
A reprendre “L’amour c’est le don de ce qu’on n’a pas”, entendons, qu’Aporia et Poros engendrent, avec leur union, avec leur rencontre qui fait tiers ; qui est fondé de ce qu’ils n’ont pas. Il s’agit de plus que le dénuement et de plus que l’opulence. C’est plus que de l’avoir ou de ne pas l’avoir. Cela dépasse la simple binarité opposant l’un et son négatif (comme cela peut être le cas pour la perversion…). Plus que de la binarité : de l’unarité et la dialectique qui la caractérise.
Autrement dit, le savoir n’émerge que dans la relation à l’Autre.
S’inspirant de PLATON ou de Claude GALIEN et Michel FOUCAULT, Cinthya FLEURY parle de l’irremplaçabilité de chacun ainsi : “Il n’y a pas de souci de soi, de sortie de l’état de minorité, de mise en œuvre de notre propre irremplaçabilité sans en passer par la prise en compte de celle de l’autre, et de ce qui sera chez lui irremplaçable pour soi.”[1]
Ainsi, l’amour transcende l’objet. L’objet ne vient qu’outiller ou donner un espace de projection à ce qui fonde la relation et qui ressort de ce qui fait émerger le sujet. Le sujet, déterminé par son unicité, par sa différenciation, n’émerge que dans le désir de l’Autre. Mais, entendons-le, cet Autre ne s’incarne pas sous n’importe quel autre. Pour reprendre le terme de C. FLEURY, si ce sujet advient comme irremplaçable c’est qu’il trouve en l’autre de l’irremplaçable. Cela se signifie dans la valeur qui est attribué à l’objet d’amour : qu’il n’est pas “rien”. C’est une question que posent de nombreux névrosé en cure : “Je ne sers à rien !”. Autrement dit, c’est un appel à n’être pas rien pour quelques-uns de leur entourage qui eux-mêmes ne représentent pas rien (de leur point de vue). Mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Que l’objet du désir reste insaisissable et que cela peut laisser pantois. Ça coupe le souffle, parce qu’on aura beau chercher la méthode infaillible pour obtenir l’objet qui serait le bon, on peut toujours courir…
LACAN, dans le dit séminaire, pointe chez Aporia -qui truche pour se faire engrosser par un homme ivre et ainsi dénudé de ses artifices habituels- l’attrait pour la jouissance de posséder.
C’est une chimère après laquelle elle court, bien que cette chimère puisse à l’occasion apporter quelques soulagements, comme on dit que “l’argent ne fait pas le bonheur mais… Quand même un peu”. Or, ce qui se trouve déjà du côté d’Aporia c’est la Doxa : “l’opinion vraie”. Cette opinion vraie équivaut à : “donner la formule sans l’avoir”. C’est ce qui peut être décrit chez les enfants lorsqu’ils semblent affirmer, sans s’en apercevoir, quelque chose qu’ils disent ignorer par ailleurs.
C’est bien de cela dont il s’agit dans la maïeutique : de faire accoucher celui qui ignore de ce dont il accouchera. Et l’accoucheur ce ne peut pas être n’importe qui. Il faut que s’y trouve cet ingrédient indispensable : le Désir. Et ce désir convoque précisément ce qu’y se rapporte au narcissisme primordial, en tant qu’impossible à incarner depuis le refoulement primordial ; celui par lequel le sujet n’est/nait comme sujet du langage.
LACAN, après avoir pointé que l’amour est “quelque chose qui est au-delà de tous les objets” (fonction métonymique du désir), affirme que “… le terme de la visée n’est pas tant au niveau de l’avoir que de l’être”.
Je précise : il ne s’agit pas d’ontologie. Il n’y a pas d’être, comme on dit “être humain”, dès qu’est reconnu que ce qui est ainsi désigné est assujetti au langage et, partant, ne peut plus être appréhendé que dans ce langage.
Seulement, l’être reste la visée. Pourquoi en serait-il ainsi ? Et j’anticipe les reproches qui pourraient être portés à de telles assertions… Encore une fois, je soutiens qu’il n’y a pas d’être du langage ; il n’y en a que du sujet. Seulement, le Désir en fonction, qui porte ce sujet du langage tient à ce qu’il vise et qui ressort de l’Idéal.
Cet Idéal, FREUD l’a désigné sous deux angles : l’Idéal du Moi et le Moi Idéal.
Vous le voyez, la constante à côté de l’Idéal c’est le Moi. Or, le Moi est cette composante paranoïaque du sujet : là où s’affirme comme vérités des prétentions qui ne devraient être que passagères parce que prédicatives. Ce sont ces identifications narcissiques secondaires qui nous tiennent et par lesquels nous tenons des tissus de vérités (cf. Article “tissus de vérités).
Nous devons soutenir, avec la psychanalyse, qu’il n’y a pas de vérités autres que subjectives car celles-ci ne sont que des dires. Et chaque dit n’est que mi-dire. LACAN nous aidait sur ce point en affirmant notamment : “Je dis toujours la vérité : pastoute, parce que toute la dire, on n’y arrive pas… Les mots y manquent… C’est même par cet impossible que la vérité tient au réel »[2].
Finalement que voudriez-vous viser d’autre, qui puisse vous mettre en action à chaque instant si ce n’est l’objet du Désir, lui-même teinté, formalisé sous les apparats de l’Idéal ?
J’en reviens à ce qui concerne l’être. Je le situerais davantage du côté du Moi Idéal en tant que celui-ci nous renvoie à ce qui aura été perdu pour exister : pour n’être.
Tout ce que FREUD puis ce que LACAN précise autour de Das Ding correspond à l’objet de la perte. En Français, nous disons “La Chose » et nous devons la distinguer de l’objet a. Celui-ci ne ferait que fonction de substitut voire de tentative de recouvrement de Das Ding qui reste, de tout façon… Qui reste un reste, l’objet d’une perte. Certains ont bien tenté de le figurer par le Fœtus mais cela reste encore trop déterminé pour nous laisser entendre que cela reste définitivement perdu au point que nous ne puissions véritablement le dire ou le désigner.
Une autre façon de l’aborder est de désigner cet objet de la perte comme la “livre de chair”, paiement d’une dette associée à l’entrée dans le langage. Quelle que soit l’image appelée à désigner cet objet, ce qui importe le plus est de considérer que de se trouver sujet du langage ne va pas sans perte et sans reste.
Ce qu’il en reste, précisément c’est le Désir, c’est la visée.
Voilà qui nous donne une idée de ce qui pousse à la relation à l’Autre, en tant que celle-ci est relation d’objet. Et si c’est L’Être que nous visons c’est précisément parce qu’il ne nous est pas autorisé comme condition d’existence. A sa place : lettre. On aurait, sur ce point, fort à apprendre avec le Lituraterre de LACAN. Outre les nombreux jeux de mots qui font entendre notamment de la lettre qu’elle est ordure (entendez-y : “reste”), s’y entend le littoral.
Du fait du langage, il y a de l’entre : entre-deux, inter-dit, etc.
Encore, ce qui compte au regard de l’expérience psychanalytique c’est cette relation d’objet. Il ne saurait y avoir d’existence pour le sujet que par-le langage et, ainsi : par la relation d’objet ou relation à l’Autre comme instance du Désir.
LACAN, dans son séminaire VIII, “Le Transfert”, nous dit de l’analyste : “L’analyste, il faut qu’il soit sous le mode de l’avoir ; qu’il ne soit pas, lui aussi, sans l’avoir (…) Sans doute est-il toujours au-delà de ce que le sujet sait sans pouvoir le lui dire. Il ne peut que lui faire signe”[3]. Et ce dont l’analyste fait signe c’est du “signifiant du manque”, à savoir : le phallus.
Finalement, insiste-il ainsi sur la position exclusive du psychanalyste qui est celle de redonner fonction à ce qui pousse à l’agir pour chacun et qui ressort du désir ; à savoir l’objet de ce Désir et son caractère insaisissable, celui-là même qui nous anime dans la relation à l’Autre caractérisant chaque instant de l’existence subjective quelques soient les solitudes qui la jalonnent.
“L’objet n’est jamais signifié, et ce, en raison même de la chaine du principe de plaisir. L’objet véritable (…) n’est aucunement saisi, transmissible, échangeable (…) Et c’est pourtant avec cela que nous devons faire des objets qui, eux, sont échangeable.”[4]. Retenons qu’il s’agit de les faire ces objets. Il s’agit de façonner, ce qui, dans la relation avec l’aimé, l’aimant, fera passe de ce qui reste insaisissable et qui concerne ce sujet qui le façonne.
Retenons que, dans ce qui fait l’objet de la relation, qu’il soit objet de la demande ou objet du don, il y a un reste qui échappe, qui ressort de l’insu.
A parler de ce qui reste “aucunement saisi, transmissible, échangeable”, rappelons cette “Valeur d’échange”, qui chez Marx renvoie au nécessaire ; à ce sans quoi il n’y aurait pas de production ni de “Valeur d’usage”.
C’est dire que Je -comme instance- ne jouerait à jouir de l’avoir s’il n’y avait pas d’Autre.
La duperie qui fera symptôme correspond à la négation de la valeur d’échange associée à l’objet de la valeur d’usage, lequel serait rendu “cavalier seul” de l’identification du sujet. Le névrosé, en somme, est celui qui s’estime l’avoir si bien qu’il n’aurait que faire de l’Autre sans lequel il ne saurait pourtant y avoir d’objet. On le dit, autrement, plus simplement comme : négation de l’Autre. Mais ce que je tiens à pointer ici est le biais par lequel s’établit cette négation, et ce biais c’est l’avoir comme mode d’identification lorsqu’y est nié qu’il n’est que chimère. On pourra dire : “chi-m’être” / s’y m’être. Ou encore : “chie-maître”. Ou encore : “chie-mère”.
Ce que ces mots d’esprit nous laissent à entendre revient à ce que je soulignais plus tôt, à savoir qu’il s’est agi, lorsque ça a fini par faire symptôme, de tenter L’Être, l’ontologie, ce par les seules voies qui nous sont accessibles et qui ressortent des avoirs et identifications secondaires associées. Quand on dit de l’un qu’il “s’y croit”, cela revient à rire, à porter en dérision la prétention à accéder à une position tel qu’il n’y aurait plus d’Autre pour nous en déchoir : la position de maître. Celui qui sait et qui dispose des avoirs… C’est à lui qu’il faut demander.
Lorsque LACAN parle du discours du capitaliste, il nous permet d’entendre du discours du maître qu’il s’agit aussi bien de “se faire mettre”. Autrement dit, l’un appelle son négatif, objet de négation du discours.
Ce que j’en dis de plus c’est qu’à s’y mettre, à jouer à s’y m’être, à être Moi (Impossible, dans la mesure où le Moi renvoie à une construction identitaire), le maître/m’être en question finit chié… Aussi bien déchet que n’importe quel objet… C’est ce point que la circulation des 4 discours (l’un n’allant pas sans les autres), permet de mettre en évidence. Aucun discours, aucune position ne se tient dans le temps. Chaque position reste intenable. A ce titre, il faudra toujours et encore renoncer, et en passer par une autre voie, au risque de s’y perdre.
La complexité pour chacun est qu’il faut bien s’y croire un minimum, à un moment donné, il faut bien développer un caractère “d’irremplaçabilité” (pour reprendre le terme de C. FLEURY), pour que puisse s’y exprimer la valeur d’échange. Ce n’est pas tant qu’il faille que d’autres puissent faire usage de soi mais que l’Un soit reconnu dans le désir de l’Autre.
C’est une autre façon de signifier qu’il ne saurait y avoir d’existence subjective sans inscription dans l’amour.
FREUD a pointé cette inévitable voie en affirmant que l’objet d’amour est substitut de l’amour maternel.
Le sujet nait depuis le saut auquel l’appelle une mère suffisamment aimante (“bonne”, dirait WINNICOTT) pour qu’il s’inclut dans le Dire.
Ce qu’elle lui donne, elle ne le compte pas. D’ailleurs peut-on dire qu’elle donne ? D’autres diront qu’elle se donne. Mais ce qui se donne, avec la fonction maternelle laquelle ne va pas sans fonction paternelle, est ce que LACAN aura désigné comme lalangue et qui dépasse le langage qui n’est que tentative de traduire la première, en la structurant comme : un savoir, une science.
« Si j’ai dit que le langage est ce comme quoi l’inconscient est structuré, c’est bien parce que le langage, d’abord, ça n’existe pas. Le langage est ce qu’on essaye de savoir concernant la fonction de lalangue. »[5]. Cette fonction de lalangue est intimement liée à la jouissance à laquelle l’expérience de la relation d’objet introduit le petit “parlêtre”. Il s’y trouve en prise avec une réponse déjà là du côté de l’Autre dont LACAN précise bien qu’il ne s’additionne pas à l’Un mais qu’il se définit comme “l’Un-en-moins ». Cet Autre qui ne se trouve pas incarné dans la mère y fait pourtant fonction, en tant que ce qui se passe dans le jeu de la relation maternelle, terreau de la relation d’amour, baigne ce petit parlêtre dans l’exercice d’une jouissance dont la quête fait résonner son impossible accomplissement. C’est ce que FREUD a nommé la castration jusqu’à pointer cette butée dans la cure psychanalytique : le “Roc de la castration”. Celui-ci est associé, dans ses termes, au “refus de la féminité”[6] laquelle apparait en négatif de la jouissance phallique. A parler de cette jouissance phallique, LACAN ajoute: « S’il y en avait une autre, il ne faudrait pas que ce soit celle-là. »[7]. Reste, dans la suite de ce qu’il en élabore qu’il ne saurait y avoir de jouissance autre.
En tous les cas, ce qui anime le façonnage de l’objet qui donne enjeu à la relation à l’Autre sous la forme d’une jouissance phallique, n’est pas de l’ordre de cette jouissance laquelle serait la seule voie selon laquelle peut se pointer ce qui est en fonction pour le sujet et qui l’anime, avec Désir et Pulsion.
[1] Cinthya FLEURY, Les Irremplaçables, p124, éditions Gallimard 2015, 218 pages
[2]Jacques LACAN, Télévision (1974), p4, editions du Seuil (Paris), 80 pages.
[3] Jacques LACAN, Séminaire VII Le Transfert, p 279. Editions Le seuil 2001 (467 pages).
[4] Ibid. p290
[5] Jacques LACAN, Séminaire XX Encore, Paris, Le Seuil, 1975. p126
[6] Sigmund FREUD., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes, t. II, Paris, PUF, 1985, p. 266
[7] Jacques LACAN, Séminaire XX Encore, Paris, Le Seuil, 1975. p56