« Car nous ne pouvons retrouver sans reconnaître, ni reconnaître sans nous souvenir : la mémoire garde l’objet, perdu pour les yeux. »
« Ce n’est donc pas tout à fait oublier une chose que de se souvenir de l’avoir oubliée ; et nous ne pourrions chercher un objet perdu si aucun souvenir ne nous en était resté. » SAINT-AUGUSTIN. (Les Confessions)
« Les larmes, même si elles sont liquides, ne renferment pas la solution du problème» (propos d’une analysante).
Dans mon précédent article, j’ai évoqué l’ouvrage d’Etienne KLEIN (« Ce qui est sans être tout à fait. Essai sur le vide. Actes Sud 2019). Si je l’ai conseillé, c’est pour que d’autres éclairages puissent se faire jour, parce que ma lecture m’a amené à penser que, malgré ses arguments scientifiques, il me semble qu’Etienne KLEIN ne parvient pas à se départir complètement d’une conception ontologique, imbibée de réalisme, qui imprègne le titre de son ouvrage, et donne à son contenu une orientation ambigüe : en effet, comment continuer à évoquer « ce qui est » comme en soi, s’il procède de l’ex nihilo ? Et s’il laisse entendre qu’il n’est pas « tout à fait », c’est à dire incomplètement et partiellement, ne peut-on pas soupçonner qu’une ontologie a minima persiste dans ce type d’énoncé ? Plutôt que sa formulation, entachée à mon sens d’ontologie, je propose celle-ci en ces termes : « ce qui est », et qui n’est aucunement préétabli, ni préexistant, advient dès lors qu’il est rapporté. Il devient alors saisissable en tant qu’il procède de ce qui n’est pas, à savoir la « béance causale » (LACAN), qu’il matérialise et concrétise ainsi, sans parvenir à réaliser -même partiellement- une quelconque entité en soi, fixe et maîtrisable. « Ce qui n’est pas » (S1), à savoir l’ex nihilo fondamental, mis en évidence et en jeu par la fonction signifiante, engendre et fait advenir ce qui sert à le métaphoriser pour qu’il puisse être saisi, sans cesser pour autant de se répéter indéfiniment, en produisant dans son échappement-même, à chaque fois des scansions métaphorisantes (discontinuité chronologique) sur fond de continuité, c’est à dire d’omniprésence de la « présentification de l’absence » (continuité du temps logique).
Toute imprégnation ontologique conduit à une impasse, conséquemment à l’attachement obsessionnel et acharné à une conception, qui récuse en définitive la fonction signifiante en tant qu’elle assure une dialectique tridimensionnelle, articulée par un vide, qui soutient et assure son développement. Donc, « Ce qui est » (S2) ne saurait être préétabli, ni préexistant en soi -en raison du signifiant et de la lettre-. Il procède de constructions hypothétiques et de suppositions qui ont des effets certains, et produisent des conséquences concrètes, permettant entre autres, de mettre en valeur un nouveau rapport entre la conséquence et l’antécédence, lequel rapport subvertit le schéma causal classique, linéaire et univoque, se voulant de surcroît « universel », mais par là-même, fondamentalement réfractaire à l’inconscient et à sa logique. C’est à mon avis le sort que partagent quantité d’idéologies, fascinées par le semblant qu’elles produisent pour mystifier le réel, qui leur échappe inexorablement, et pousse au ratage leurs interprétations, malgré leur dogmatisme ontologique, favorable à l’hégémonie de la médiocre « norme mâle », farouchement opposée à la féminité. (Je le répète et le souligne, la féminité n’a absolument rien de commun avec l’essentialisation et l’ontologisation des femmes, prônées par les idéologies féministes, qui la pervertissent en définitive, en faisant croire que les femmes sont aussi, sinon plus capables que les hommes de venir à bout du « défaut de rapport sexuel ». La compétition et la concurrence autour de ce « challenge » battent leur plein ….de « débilité » !).
Les idéologies ouvertement ontologiques reposent sur des illusions prédicatives, nourries par des conceptions –scientifiques et/ou religieuses- qui n’ont de cesse de trouver des stratagèmes pour prétendre exclure radicalement la négation, mobilisatrice du vide mis en jeu par la fonction signifiante. Cette dernière est à la base de l’imprédicativité, et bat en brèche toute promesse de colmatage oblatif, mettant en péril par là même le désir et sa référence à l’imprescriptibilité de la Loi structurale, qui représente l’interdit de l’inceste. Cet interdit détermine l’aliénation symbolique et la séparation qui en procède. Il établit le décentrement du moi, en même temps qu’il assoit et assure les fondements inaliénables de la subjectivité. La lettre qu’il imprime sur tout être parlant qui l’incorpore, est à la base de la signifiance en tant qu’elle assure la plurivocité sémantique, fondée sur l’écart irréductible entre le signifiant et le signifié. C’est ce qui ne cesse d’échapper à la science, au fur et à mesure de ses développements, qui assure cependant ses découvertes à venir. Le réel qu’elle induit permet d’éviter son pervertissement en idéologie, d’autant plus fascinante qu’elle se pare d’un pouvoir de prédicativité,* qu’on lui prête et projette à tort sur elle. Elle devient ainsi la proie de fantasmes, animés par un fanatisme, dont la « voracité » -parfois mortifère- anime nombre de quêtes ontologiques à visée totalitaire. Comme la religion, la science peut devenir la source de politiques ignominieuses, qui concentrent tous les pouvoirs pour imposer une conception idéologique dont la prédicativité est indiscutable, surtout lorsqu’il s’agit de dissimuler et de récuser et l’aliénation signifiante –inhérente à la subjectivité- et l’aliénation sociale, liée au mode d’exploitation des corps et de leur force de travail. Le savoir scientifique et/ou religieux à l’appui sert les idéologies prometteuses de complétude, notamment à l’endroit de tous ceux qui en sont dépourvus, victimes, non pas d’un système économique et politique qui les en privent cruellement, mais de « boucs émissaires » essentialisés et désignés (les Juifs sous le nazisme) pour mieux procéder à la scotomisation du système d’exploitation capitaliste, et alimenter la confusion entre l’aliénation sociale et l’aliénation symbolique. La montée du nazisme en Allemagne est édifiante à ce sujet. Comme le sont aussi, plus près de nous, dans le Chili des années 70-80, les exactions et les meurtres induits par la politique économique ultralibérale, dirigée et appliquée par la « racaille » universitaire des « Chicago boys », formés par Milton FRIEDMAN (Prix Nobel d’économie 1976), soutenus par Henry KISSINGER et la CIA, pour mettre à mort Salvador ALLENDE et son expérience démocratique.
Les différents moyens utilisés pour proposer une suturation du vide, par saturation oblative, prétendent supprimer le « manque à être », mais provoquent bien souvent le déclenchement de crises d’angoisse, parfois paroxystiques. L’intoxication à laquelle mènent à terme les idéologies prédicatives, qui prétendent apporter des compléments et des suppléments ontologiques, fait échec au principe logique de non-identité à soi, qui soutient la signifiance et le réel qu’elle engendre, et qui transcende les diverses façons de le dénier.
Suturer la faille, porteuse de la signifiance, par des théories bilatères et hégémoniques, qui sont saturées de significations, tente de faire obstacle au passage à l’unilatère. Ce dernier soutient l’unarité grâce à la mise en continuité qu’il permet entre lui et le bilatère qu’il le comporte. La compromission du passage devient –notamment dans les névroses- une transgression de l’interdit, qui aggrave d’autant plus l’angoisse qu’elle participe au renforcement et à la consolidation de l’obstacle empêchant la reconnaissance du sujet.
L’inconscient, en raison de sa négation constitutive, qu’il ne cesse de mettre en œuvre à travers ce qui de prime abord la refoule, bat en brèche la prédicativité et l’oblativité objectale et objective, qui prétendent caractériser la modernité, dont le caractère manifestement mortifère ne décourage pas ses tenants à l’identifier à la civilisation. Cette négation, propre à l’inconscient, s’appuie et s’étaye sur le vide qui assoit cette dialectique moebienne. Même si elle distingue les différences, voire les oppositions locales, elle peut les mettre en continuité en leur conférant une identité globale, qui n’est en aucune façon exclusive d’elles. Elle met en évidence la communauté et le partage du vide, contestés par les multiples entreprises envisageant son colmatage grâce à des manœuvres visant l’oblativité « agalmatique » et la prédicativité obturante.
La négation, à l’œuvre dans l’inconscient n’interdit pas les différences ni les distinctions, voire les oppositions. Elle permet de les dépasser en les intégrant à une dialectique qui les articule en les identifiant et en soulignant leur dépendance totale et irréversible de la logique signifiante, qui se concrétise sous forme de rapports métaphoro-métonymiques. Ainsi, si universalité il y a, ce ne peut être que la communauté du vide, et non pas son colmatage, quelles que soient les formes que peut revêtir ce dernier, et les significations qui lui sont données. La prédicativité et l’oblativité, présentées comme les voies idéales pour parfaire ce colmatage, deviennent les caractéristiques suprêmes de la modernité et de la civilisation. En finir avec la négation de l’inconscient, devient la pierre angulaire de tous les programmes idéologiques qui considèrent que l’humanisme idéal consiste à « guérir » du défaut structural, « constitutionnel », sans cesse véhiculé et mis en évidence par le désir, lequel échappe aux normes hygiénistes, promotrices et pourvoyeuses de « bons objets ».
Afin d’ancrer (d’encrer pour les écrire/inscrire) plus à fond certaines évidences, dont le propre est de se laisser oublier très facilement, bien qu’elles soient sues, je répèterai sans relâche que la nomination d’une chose, lui subtilise son essence. Désormais, cette nomination l’inscrit dans l’ordre symbolique duquel elle dépend définitivement. A partir de cette perte irrécupérable, qui fait disparaître ce qu’elle est réellement, elle gagne le statut de métaphore, qui la définit dorénavant, en lui assurant une existence, porteuse d’évolutions et de transformations diverses, confirmant ainsi son nouveau statut. Refuser cette logique, mise en œuvre par le symbolique, revient à figer le fantasme, qui représente auprès de chacun (e) une voie (x) vers la prédicativité, laquelle ne souffre pas l’écart irréductible que met en oeuvre la signifiance, et qui se traduit par la polysémie. La signifiance bat en brèche l’asservissement aux idéologies de la prédicativité qui promettent la garantie ontologique, en contrevenant à ce que la structure impose comme impossible. Le dogmatisme prédicatif, entretenu et renforcé par la doxa, « se nourrit » préférentiellement de conceptions hostiles au sujet et à la négation, pourtant indispensables au moi, qui ne peut s’en passer. Le symptôme individuel d’une part, et la crise sociale d’autre part, en témoignent : l’un comme l’autre apparaissent lorsque des convictions diverses, étayées par des idéologies de plus en plus totalitaires, échouent sur la subjectivité, et surtout sa structure, à l’œuvre chez tout être parlant, malgré ses farouches résistances opposées à l’inconscient. Vouloir en finir avec la subjectivité mène à des errements qui consolident les confusions entre ce qui ressortit à la structure négative du sujet, nécessaire au moi, et les interdits accouplés à la répression sociale, quelles que soient les formes qu’elle revêt. Le réel n’est pas une limite objective, externe et conventionnelle, imposée par des normes sociales auxquelles il faut se soumettre. Il consiste en une dimension implicite, à l’œuvre dans tous les discours qui mettent en jeu d’autres dimensions qui peuvent donner l’illusion de le faire passer sous silence, alors qu’il les constitue et qu’ils le contiennent. Le réel se soustrait à toute réalité qui s’avère incapable de l’anéantir, parce qu’il lui échappe. En revanche, il ne la rate pas : il lui fait manquer (louper) son objectif initial. Son absence apparente organise n’importe quelle construction de telle de sorte qu’elle montre à terme qu’elle en procède fondamentalement. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle peut s’enrichir et se développer, sans pour autant compléter le « mi-dit » de la vérité. Le réel consacre le statut de celle-ci, et le confirme quels que soient les apports visant à compléter la réalité construite.
Le moi tente d’ « abjurer » le sujet, notamment dans les psychoses, mais son échec est retentissant, surtout lorsque les idéologies psychologico-psychiatriques renforcent la prédicativité, déjà à l‘œuvre dans ce type de pathologie, qui ne souffre pas l’imprédicativité, laquelle fait écho au « rapport d’exclusion interne » que Lacan met à la base des relations entre le sujet et les objets, sur fond d’objet a (objet cause du désir).
Le symptôme (individuel) comme la crise (sociale) condense et concentre de nombreux problèmes qui exigent d’être bien distingués, éclairés et surtout bien formulés, en vue d’atteindre un nouage de leurs dimensions et facteurs constitutifs, propice à la mise au jour de solutions nouvelles, en rupture avec celles qui sont préétablies et prêtes à porter, confectionnées par différentes idéologies. Prolonger le symptôme, en renforçant la quête de prédicativité sous des dehors et des prétextes moraux, voire humanistes, provenant d’idéologies exclusives de la subjectivité, contribue grandement à accuser et à consolider les liens entre le symptôme individuel et la crise sociale. L’identification facile à la « belle âme », soutien et complice de la folie ou de la paranoïa « normale » (« norme-mâle ») (LACAN) bat son plein, et éloigne de plus en plus toute référence à l’inconscient et à sa logique.
La réappropriation du symptôme par celui ou celle qui le produit, et l’adresse au « supposé savoir », censé en proposer une lecture différente et subversive, favorise progressivement la désinhibition intellectuelle, et bat en brèche en même temps les résistances opposées à la négation mise en œuvre par l’inconscient. Elle stimule la production et la fabrication de tous les énoncés (associations libres de FREUD) possibles, qui contiennent et expriment implicitement l’énonciation, dont l’omniprésence est constante grâce à eux.
Lorsque la prédicativité montre à terme ses défaillances inéluctables, car elle est carencée en objets de comblement et de colmatage du désir, elle est dénoncée implicitement, dans le sens où elle est identifiée aux idéologies qui la promeuvent, et qui s’avèrent incapables de la garantir. C’est alors la lutte ouverte pour « le changement » de conceptions mais certainement pas pour la remise en cause de la prédicativité. Le combat acharné entre toutes les idéologies consiste à rivaliser en théorisations nouvelles et « pragmatiques » pour mieux réussir à mettre fin à tout ce qui peut rappeler la structure subjective. Aussi, la prise en compte sérieuse de la subjectivité, dans une analyse politique, doit mettre en évidence les dimensions qui la constituent et qui sont refoulées par les conceptions obsédées par la prédicativité, c’est à dire par le colmatage du vide structural, qui rend impossible cette dernière. Les théories prédicatives, alliées de la paranoïa normale ne daignent pas « condescendre au désir », qui leur paraît humiliant en tant que son objet échappe à leur « universalité » et à l’objectivité qu’elles idéalisent comme une catégorie en soi. Elles font croire de surcroît que s’affranchir de la fonction du signifiant, et mettre fin à l’incomplétude du symbolique est la marque de la civilisation. Celles qui se targuent d’être « progressistes » proposent une ontologie encore plus efficace que celles qui usent et abusent des religions : elles recourent à la science, pour contrevenir à la structure et au vide qui la leste. Les unes comme les autres, malgré des luttes à mort entre elles, durant des siècles, échouent sur les écueils issus du déni ou du démenti de l’imprédicativité, mise en œuvre par le réel. Le « non rapport » mobilisé par ce dernier est mis en jeu dans tous les rapports élaborés, pour s’opposer à lui et le démentir, au profit de cette « paranoïa norme-mâle ». Elle alimente maintes tentatives perverses qui consistent à ravaler, à dévaloriser toute référence à l’imprédicativité, et à compromettre toute construction qui en tiendrait compte en la taxant de théorie anti humaniste, dès lors qu’elle facilite les déconstructions de l’empirisme et du pragmatisme prédicatifs. Le changement de discours, fondé sur une logique incluant la négation propre au sujet, est dangereux pour des idéologies arcboutées sur leur dogmatisme ontologique et prédicatif, quel que soit leur degré d’opposition et leurs lectures des rapports entre dominants et dominés. Ces lectures, exclusives de la subjectivité, donnent naissance à des interprétations qui véhiculent des résistances hostiles, parfois féroces contre l’inconscient, qui leur échappe, quoi qu’elles fassent. Mettre au jour et révéler ce qu’elles cherchent à écarter, pour montrer que rien ne leur échappe, provoque des réactions d’autant plus agressives, que le savoir idéalisé qu’elles exhibent, dévoile ses failles et ses défauts, issus de sa dépendance du signifiant et de toutes les conséquences logiques qui en découlent.
Echanger, revient en vérité à partager le vide refoulé, maintenu insu, d’autant plus que l’objectif convoité porte d’abord et avant tout sur le partage du colmatage et de l’acquisition du plein. La plénitude, liée intrinsèquement au vide, mobilise une avidité qui met au jour le désir, dont la dialectique subvertit les rapports entre sujet et objets, conduisant les théories psychologiques, « naturalistes » et simplistes à devenir des idéologies, prônant l’inculcation d’un savoir universel, d’autant plus identifié à la vérité qu’il exclut l’inconscient en tant qu’il confère à celle-ci son caractère définitif et spécifique de « pas toute » (LACAN). C’est dans un tel contexte que le DA (discours analytique) devient une marchandise aux mains de commerçants, fervents adeptes de l’économie de marché. Parmi eux se recrutent les idéologues de l’ « hontologie » qui n’hésitent pas à définir l’être par le non être, pour ne pas avoir affaire au « manque à être », qui promeut une dialectique autrement moebienne, dans le sens où ni l’être, ni le non être en soi, ne résolvent la question de l’être, lequel vient à manquer au fur et à mesure que sa quête se développe et met en évidence son ratage essentiel et inévitable.
Toute quête ontologique inhibe le passage d’une raison binaire à un entendement unilatère, de type moebien : partir de différences et d’oppositions locales pour les « travailler », c’est à dire les analyser en les soumettant à une demi-torsion correspondant à la mise en œuvre de la négation, de telle sorte qu’elles finissent par ouvrir le passage ou l’accès à l’identité globale ou unilatère. Lorsqu’elle ne donne pas naissance à des tyrans sanguinaires, elle n’accepte pas l’idée que tout énoncé est supposé et hypothétique par définition, puisqu’il procède du signifiant, qui met en évidence « l’instance de la lettre » en tant qu’elle signe l’ancrage irréversible dans l’ordre symbolique via l’objet a, cause du désir. C’est d’ailleurs cet ancrage définitif qui favorise les passages d’un discours à un autre, d’un entendement à un autre et partant d’une intelligence à une autre. Ces passages sauvent le désir de ses ravalements en besoin universel, qui excluent en définitive la singularité en tant qu’elle met au jour des rapports dialectiques inédits entre un ordre social et l’ordre symbolique, duquel il dépend irrémédiablement. Cette caractéristique de l’ordre symbolique marque de son sceau le désir, qui procède de la Loi structurale essentielle (interdit de l’inceste sous toutes ses formes culturelles) et échappe ainsi aux commandements et injonctions sociales, qui proposent très souvent une libération dégradante, en offrant des stratagèmes démentant l’aliénation symbolique. Ainsi, cette Loi se voit compromise par des idéologies sociales diverses, voire opposées, qui remettent en cause sa pérennité, laquelle tient au vide qui fonde et articule la temporalité qu’elle initie, et qui échappe à la chronologie, tout en la permettant.
Plus le niveau de développement d’une société semble liée à une prédicativité et à une oblativité intenses, plus l’aliénation sociale se renforce au profit du « narcissisme des petites différences », et tend à exclure la subjectivité, qui provoque le chaos en la désordonnant et en la déraisonnant. Lorsqu’une crise sociale et politique survient dans une société, qui nie que la subjectivité est partie prenante de la « lutte des classes » qui l’organise, il s’agit d’examiner sérieusement et d’expliciter au mieux les fondements théoriques des slogans retenus et exhibés, pour montrer leur pouvoir de réunir, de rassembler, d’unir voire d’unifier au risque de condamner un mouvement socio-politique, encore englué dans une prédicativité exclusive de la subjectivité, de ses dimensions et de la logique spécifique qu’elle met en œuvre. Les méprises, dues au mépris de l’inconscient, scandent l’Histoire : elles sont loin de rendre obsolètes certaines impostures, entretenues par les idéologies ontologiques et prédicatives, qui écartent –violemment si besoin- toute lecture qui s’appuierait sur la logique induite par l’inconscient. C’est le cas des « voyous » de toutes confessions, qui se voudraient l’incarnation du droit divin, pour mieux détrôner Dieu, lequel, comme nom du vide, « dégonfle » leur infatuation, alors qu’ils croient le mettre à leur service pour accroître celle-ci. Dieu n’est plus le nom de ce qui leur échappe, mais le serf « objectivé » de leur paranoïa.
Si, à une petite échelle cette fois, un groupe fait main basse sur les élaborations d’un de ses membres, à la tâche pour « compactifier sa (propre) faille » (LACAN), c’en est fini du collectif, qui se construit seulement à partir et grâce à la prise en compte par chacun(e) de sa faille, en vue de la consolider, de la densifier, c’est à dire de l’enrichir. Sinon, c’est la victoire du DU (discours universitaire), avec toutes ses conséquences quant à l’organisation hiérarchisée du groupe, et le classement de ses meilleurs ânonneurs(ses), asservis à leur nouveau mentor, identifié à celui ou celle qui détient et maîtrise un savoir confondu avec la vérité. Ainsi, la résistance groupale apparaît au grand jour contre la « compactification de la faille » et contre le développement du DA. Face à l’hégémonie du DU, les réactions hystériques qui se multiplient, se verront identifiées au DA et aggraveront la dégradation de ce dernier, ainsi que son pervertissement en idéologie, déliée de la négation que met en jeu l’inconscient dans toutes ses formations. Le DA est alors transformé en une théorie anthropologique qui, par évacuation de la subjectivité, deviendrait réaliste et pragmatique, promoteur d’un humanisme potentiellement totalitaire, exclusif de la singularité, désormais réduite à son identification et à sa confusion avec l’individualité.
Les dénonciations faites par le Hirak en Algérie, les condamnations exprimées à raison, et le rejet des prédateurs et autres oligarques tyranniques qui ont cru que leurs spoliations, vols et corruptions, cautionnés par le pouvoir qu’ils se sont octroyés, non sans l’assentiment plus ou moins implicite des masses qu’ils dominaient, allaient les assurer en vain de leur être, dissimulent en fait un projet ontologique, qui est loin de rompre avec la logique du système qu’il dit rejeter. Il propose d’améliorer le bilatère déjà à l’œuvre dans ce système par une autre référence bilatère, idéalisée, censée être meilleure, pour mieux refuser l’unilatère que la subjectivité fait valoir à travers les dimensions qu’elle implique et mobilise. Le Hirak, s’il ne change pas de logique et de discours, s’il ne rompt pas avec la logique imposée par une soi-disant nouvelle prédicativité, toujours exclusive de l’imprédicativité qui la fonde, et malgré ses slogans alléchants, continuera à puiser dans des conceptions bilatères, encore plus fortes et plus redoutables –potentiellement très régressives- pour s’enferrer davantage dans le refus du vide, qui détermine l’altérité, propre au sujet. C’est peut-être lorsque l’amour coagulateur et agrégateur du groupe rencontrera « l’a-mur » (LACAN), que le « bonheur(t) » avec l’inconscient pourra avoir lieu, et ainsi dévoyer le mouvement vers des voies qui cesseront d’être des impasses, sources d’addictions ontologiques funestes, voire mortifères.
TREVE DE DEMAGOGIE ET DE SIMPLISME REDUCTIONNISTE ! LES SIGNIFICATIONS SATURÉES D’UNIVOCITE DELIENT DE LA SIGNIFIANCE ET POUSSENT A UNE FIXITE GROUPALE TOTALITAIRE, CORRELATIVE DE LA PSYCHOSE AU PLAN INDIVIDUEL.
Faire croire que le Hirak, parce qu’il représente un large soulèvement populaire, dirigé contre des tyrans prédateurs, serait « naturellement » et intrinsèquement porteur des germes d’un changement de lien social, est aberrant, et d’autant plus contre productif que les discours qu’il génère restent dans leur grande majorité binaires, portant essentiellement sur les différences et les oppositions locales, sans tenir compte de l’unilatère, à savoir l’identité globale, liée à la prise en compte de la subjectivité, en tant qu’elle articule selon la logique moebienne, c’est à dire sans exclusive, les énoncés binaires et la signifiance qui les caractérise. La force d’un groupe se mesure à l’ identité imaginaire qu’il s’assigne, par le biais d’une unité apparente, voire factice, exclusive de l’ « unarité » et mettant à mal la parole, en vue d’obéir à ce qui deviendrait une conception infaillible, et partant univoque, effectuant ainsi cette piètre révolution, qui consiste à faire un tour et revenir au même point. L’unité et l’identité imaginaires empêchent le groupe de s’émanciper en faisant valoir la dépendance de ses élaborations et constructions de l’ordre symbolique et de toutes ses conséquences, qui portent un coup à l’idéalisation du savoir, comme moyen de s’en libérer et d’éviter de rencontrer le réel, paradoxalement produit par les théories qui le récusent. Parce qu’il anime la dynamique des passages, le symbolique, grâce à la préservation de la parole, qui favorise la plurivocité et met au jour le réel comme impossible, parvient à subvertir le groupe et lui offrir de nouvelles orientations, évitant la sclérose intellectuelle induite par le fonctionnement groupal, lequel n’est pas lié au nombre de personnes qui le constituent, mais au(x) discours qui les identifient et les unifient de manière artificielle et/ou ou factice.
Ce n’est pas parce qu’une grande partie du peuple se soulève à juste titre, contre ses « bourreaux » qui incarnent « le système », pour les sommer de « dégager », que pour autant, elle se montre capable de donner naissance à un discours inédit, fondé sur la rupture avec la logique qui prévalait, et domine encore les rapports sociaux et les institutions du pays. Sous prétexte que la prédicativité fait défaut à une société, qui par dessus le marché est qualifiée de sous-développée, il lui faudra accepter de s’adapter et de se soumettre à toutes sortes d’attributs, provenant de pays plus développés, faussement libérés du « manque à être », dont le refoulement, consolidé par le développement économique, met en avant la surabondance des objets produits, et dissimule leurs conditions de production, basées sur une exploitation de plus en plus féroce.
La logique binaire (raisonnement limité à deux dimensions sans possibilité de les dépasser faute de troisième dimension, pourtant à l’œuvre mais refoulée) domine sans partage toutes les idéologies qui ont cours dans la société algérienne, en proie à la prédicativité que le monde occidental a réalisée. Elle envahit tous les domaines et détermine toutes les constructions idéologiques qui tiennent le devant de la scène sociale et politique. Elle accompagne en même temps un égocentrisme et une infatuation moïque, inhibiteur des capacités intellectuelles, qui permettant de dépasser le bilatère et de passer à une logique autrement plus enrichissante. Elle est d’autant plus tenace, que son irrécusable nécessité lui permet de résister farouchement à la subjectivité, et de refuser d’accepter et d’ intégrer le vide, inhérent à la fonction signifiante et à la reconnaissance de l’altérité du sujet. C’est à partir de la levée progressive de cette résistance à la signifiance que le passage du binaire à l‘unilatère (identité globale respectant les différences locales comme dans la bande de Moebius représentant la structure subjective) devient le possible libérateur de l’enfermement dans des conceptions réductrices, funestes pour l’avenir d’une société. C’est à ce travail logique, qui reconnaît les idéologies comme nécessaires, qu’il faut les soumettre, pour que leur déconstruction ouvre la voie à leur propre dépassement, dès lors que leur structure binaire est dévoilée et démontée, grâce à la mise au jour de ce qu’elles ne veulent pas et refusent de savoir. Il s’agit certes d’un travail théorique, mais sa valeur politique est indéniable, d’autant plus qu’il lève des inhibitions intellectuelles dramatiques, tant sur le plan individuel que collectif.
QUAND LA POLITIQUE PROLONGE LE SYMPTÔME EN S’ARROGEANT LES PLEINS POUVOIRS, ELLE CROIT ET FAIT CROIRE QU’ELLE A LES MOYENS D’IMPOSER UNE PRÉDICATIVITÉ, QUI NE CESSE PAS DE BATTRE EN BRECHE LE « NON RAPPORT », A SAVOIR LE DEFAUT RADICAL ET IRRÉVERSIBLE DE RAPPORT SEXUEL, QUE LA LETTRE « ENGRAMME » DANS LE CORPS, ET MET EN JEU DANS L’ECRITURE PAR-DELA LES ECRITS QU’ELLE SUSCITE.
Si la politique, avec la puissance que lui procurent les pouvoirs qu’elle se donne, met en avant que le seul projet qui vaille, consiste à en finir avec la signifiance, elle est alors en phase avec tous ceux qu’elle sert (serre et enserre), et qui sont prêts à « gober » les illusions ontologiques qu’elle déverse, en évacuant, en faisant l’impasse et en taisant l’organisation de plus en plus sophistiquée du système d’exploitation des corps qu’elle ne cesse de renforcer. Les slogans qu’elle véhicule, fabriqués et confectionnés par ses idéologues, mettent l’accent sur la liberté, qui couronne l’exclusion de la signifiance. L’exploitation des corps et de la force de travail est dissimulée par les projets prédicatifs, qui promettent de s ‘émanciper de cette Loi structurale rappelant le défaut qui structure tout être parlant, quels que soient les attributs qu’il met en avant et qui lui servent d’identité. Tous ceux ceux qui acceptent de se « débarrasser » de leur subjectivité, et d’être enfin libres, sont prêts à s’en remettre à ceux et à celles qui ne sont plus supposés, mais qui sont bien identifiés aux détenteurs de la toute-puissance, pourvoyeuse un jour de la prédicativité adéquate pour s’affranchir enfin de la signifiance. Cette perversion caractérisée de la politique est confirmée tous les jours, par les batailles que se livrent les tenants de conceptions prédicatives et ontologiques, certes opposées, mais implicitement et fondamentalement alliées contre la subjectivité et ses conséquences, notamment la signifiance.
Le symptôme subjectif naît de tentatives constantes et effrénées visant à imposer une « norme mâle » contre la « clocherie »(LACAN) de l’inconscient. A la base de l’ équilibre instable qui assure l’existence, ce dernier désarçonne la raison et l’entendement, obsédés qu’ils sont par le triomphe du binaire ou du bilatère, exclusif de la dimension qui leur est nécessaire, et qui articule leurs faces différentes et opposées localement, grâce à une opération discursive, donnant lieu à une continuité et à une identité globale, correspondant au fondement signifiant de tout énoncé, quel que soit son contenu.
Seul le « ouï-dire » nous permet de saisir le dire ou l’énonciation « qui reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » (LACAN). Il est au service d’une intelligence qui favorise la lecture entre les lignes pour dégager des sens distincts, lesquels sans être complémentaires, s’avèrent tributaires de la signifiance, qui échappe à toute direction sémantique préétablie.
Cette « clocherie » est confirmée par le ratage qu’apporte l’objet réclamé en vue de combler le manque qui l’invoque. Tout objet, issu de cette perte objectale irrémédiable, qui « cause le désir » et instaure la lettre, met en évidence la nature d’ersatz ou de succédané de tout objet, qui concrétise un vide ou un manque irréductible, articulant la finitude de la condition de « parlêtre », fondée et assise sur l’infinitude de ce qui lui échappe, que certains nomment et réfèrent à Dieu. Dès lors, cette appellation ou nomination risque de figer et de trahir l’échappement qui la détermine. Elle prétend le maîtriser en se l’appropriant et en le possédant, pour le mettre au service du démenti nourrissant la paranoïa collective et contagieuse de la « norme mâle ». Posséder Dieu revient à l’objectiver et à le chosifier pour l’aimer, mais à la seule condition qu’il comble d’abord l’amour passionné, voué préférentiellement à soi-même. Dieu, dans ce contexte, sert les passions « hontologiques » de tous ceux et de toutes celles qui ne supportent pas qu’Il leur échappe, et que de cet échappement ils puissent obtenir et gagner un vide « providentiel » pour leur existence. A ce sujet, les idéologies islamistes sont au premier rang –avec d’autres- de la perversion de Dieu, dégradé et corrompu au point de devenir la caution de leur savoir, fait de bric et de broc, dont le but essentiel est d’exclure la signifiance, matrice de la polysémie, qui renvoie à l’impossibilité de fermer les possibilités sémantiques, attribuées à Dieu et à son insaisissabilité radicale.
Donner à Dieu une signification qui le dépouille de son unicité d’Etre suprême imaginaire, représentant le vide, dans le but de mieux l’incarner et de se l’approprier pour des raisons ontologiques, peut engendrer les actes les plus pervers en vue de l’égaler et de s‘assurer comme lui -grâce à sa dégradation- de son être. Dieu devient le fétiche préférentiel de ceux qui lui contestent et lui disputent cette suprématie et cette exclusivité, lesquelles renvoient en fait à la signifiance et à la polysémie en tant qu’elles témoignent de l’éternité de la parole, qui distingue –en même temps qu’elle les articule- l’énoncé de l’énonciation. Aussi, tous ceux qui s’opposent aux islamistes en faisant valoir que leur savoir est supérieur, parce qu’il est « scientifique », donc plus apte et plus fort à tarir la signifiance, les rejoignent dans une quête implicite de totalitarisme. La signifiance est contenue dans la mémoire, incorporée, puisque tout objet qui est identifié comme celui qui viendrait à remplir et à combler la perte provoquée par ce qui cause le désir, échoue pour mieux mettre en valeur la lettre qui marque de son sceau le corps, désormais animé par cette énergie, impulsée par le désir, et indissolublement liée au « manque à être ». S’opposer aux idéologies islamistes en préservant et en faisant valoir la signifiance me semble plus prometteur tant la rupture avec la logique sous jacente à leurs errements est plus radicale. Les conséquences et les effets de la prise en compte de la signifiance impliquent la mise en œuvre de la négation, essentielle dans la subjectivité, à travers les multiples manifestations du « manque à être ». Démentir la subjectivité en rejetant la signifiance et la polysémie -source d’équivocité-, est une concession majeure qui, en fin de compte, enferme les idéologies rétrogrades et réactionnaires et celles dites « progressistes » dans une exclusion complice, qui ferme toute perspective de se libérer des illusions ontologiques rebattues et constamment répétées, avec une mauvaise foi qui en dit long sur l’inhibition intellectuelle de leurs adeptes. Leur manque d’à propos est de plus en plus criant, et surtout, de plus en plus funeste !
S’armer d’un discours qui reconnaît au sujet sa place, revient à cesser de demander la protection des plus forts pour faire valoir des quêtes identitaires, réduites à des demandes ontologiques. Elles sont bafouées au moment même où elles s’expriment et se manifestent: les tout-puissants, « bardés » de leur pouvoir de plus en plus ostentatoire, profitent de ces sollicitations pour mieux asservir ceux et celles qui les formulent ainsi et les leur soumettent. Ils sont généralement traités de l de la manière la plus vile !
Tenter de répudier la signifiance conduit à des infirmités intellectuelles, qui recourent toujours aux mêmes logiques binaires, science et/ou religion à l’appui, pour rejeter tout ex nihilo, menaçant les illusions ontologiques, et instaurer une conformité d’esprit, qualifiée d’universelle a priori. La complicité entre des fats égarés par leurs quêtes et conquêtes ontologiques, visant à mettre fin –en vain- à l‘éternelle signifiance, corrélative de l’immortalité du vide, devient progressivement un obstacle majeur à l’avènement du sujet et à la reconnaissance de sa place dans la politique, qui ne cesse pas de s’abîmer dans les mirages de l’ontologie.
La politique, réduite à un champ de batailles mettant aux prises tous ceux et toutes celles qui veulent gagner le pouvoir pour mieux éradiquer la signifiance, essentielle à l’être parlant, ne peut qu’échouer sur des régimes et des institutions qui ne veulent rien savoir du désir et de la loi structurale qui lui donne naissance, et lui permet de transcender n’importe quel ordre social et/ou politique. L’éternité du désir se concrétise dans le fait qu’aucun objet, censé le satisfaire totalement, ne puisse en définitive le combler, au risque de mettre en danger l’existence subjective, par l’apparition de pathologies diverses, voire de mettre un terme prématurément à la vie (suicide par exemple).
Les menaces les plus dangereuses pour le Hirak proviennent de son sein, même si celles qui viennent de l’extérieur ne sont pas à négliger. Cependant, c’est en travaillant sérieusement et rigoureusement celles qui naissent de l’intérieur qu’il sera possible de mieux se protéger des autres. Abandonner les évaluations des situations à l‘aune de la prédicativité, implique des références inédites, qui peuvent apporter un gain, un en-plus, lié à la rupture avec un entendement qui ne tenait aucunement compte de la subjectivité.
C’est pourquoi il est nécessaire de laisser s’exprimer tous les points de vue afin les soumettre à des lectures, capables de les éclairer grâce à l’usage de concepts dont il faut expliciter la rigueur épistémologique, pour qu’ils ne soient pas réduits et dégradés en simples notions idéologiques. Seule la rigueur conceptuelle et méthodologique des analyses pourra déjouer ces menaces et les enjeux qu’elles cachent. Par là même, « l’en plus » que gagnera le Hirak concernera la familiarité nouvelle avec laquelle la société abordera et adoptera la subjectivité, qu’elle persiste à considérer comme étrangère et hostile à sa quête de complétude et de plénitude illusoires, sources d’exploitation idéologique entre les mains de charlatans de diverses obédiences.
La révolution, entendue comme le tour qui finit par revenir à son point de départ, alors qu’elle laisse accroire à un passage à un entendement inédit, provient de l’obsession à considérer que le changement concerne obligatoirement la prédicativité. Une nouvelle et meilleure prédicativité doit être déliée de ce qui la fonde, à savoir sa propre négation : l’imprédicativité, issue de la fonction signifiante. C’est ainsi qu’il devient possible de faire échec à « l’impensé », mis en place subrepticement, mais résolument, par ceux et celles qui se croient capables d’échapper à la dépendance du signifiant, tout en se présentant comme les modèles d’une prédicativité accomplie et aboutie. En prétendant vainement s’être affranchis de leur soumission à l’ordre symbolique, ils se convainquent en s’érigeant en exemples, « jetés en pâture » à toutes les personnes, en mal d’identité imaginaire et d’assurance ontologique.
En promettant de garantir la prédicativité à tous ceux et à toutes celles qu’elle parvient à convertir aux théories du rejet de la lettre et du signifiant, la politique menace la subjectivité et peut devenir obscène lorsqu’elle se retrouve face au « mur de l’objet a », à « l’a-mur », qui s’avère impossible à pervertir, malgré tous les errements que suscite l’amour. C’est d’ailleurs l’expérience fréquente et majoritaire des associations de psychanalystes, dont le fonctionnement groupal pervertit le discours analytique. Ainsi, combien de fois n’a-t-on pas assisté à l’accaparement par des membres de tels groupes, passionnés de leadership, d’ élaborations de certains (es) d’entre eux, attelé(e)s à la « compactifiation de leur faille », pour les dévoyer en discours universitaire, et pousser à de dangereuses dérives, qui préfèrent le sillage du courant dominant, afin de s’éloigner inexorablement du « littoral », qu’ils méconnaissent d’autant plus qu’ils invoquent le discours analytique, devenu l’équivalent d’une idéologie psychiatrico-psychologique fondée –comme toutes les autres- sur l’exclusion de la négation propre à l’inconscient. Démentir cette négation en usant d’énoncés qui la contiennent, mais la réduisent au silence, devient le mode le plus courant et le plus confortable de l’idéologisation du discours analytique. Cette négation, porte et met en évidence le « non rapport » induit par la lettre et le primat du signifiant. A ce titre, elle est farouchement combattue par les tenants des colmatages prédicatifs et oblatifs, qui n’hésitent pas à mettre en péril et à mort l’existence subjective, promotrice de la radicale impossibilité de colmatage, qui la détermine. Cette impossibilité, inhérente à l’imprédicativité, fondatrice du sujet, produit et engendre cependant toutes sortes de conceptions prédicatives, qui tendent à la refouler, voire à la proscrire en aggravant l’aliénation sociale entant qu’elle ne veut rien savoir de l’altérité irréductible, propre au sujet, qui fait du « parêtre » la confirmation définitive « manque à être ».
Rendre le vide productif, restitue le vif du sujet. Il revient à abandonner toute illusion de le combler à tout prix, au détriment du désir, dont la nocivité, mise en exergue par les idéologues de l’universalisme animalier, doit être éradiquée, quitte à déboucher sur les pires ignominies prétendument humanistes. Vanter une idéologie prédicative pour qu’elle se substitue à une autre, tout en bannissant la signifiance qui détermine l’une et l’autre, débouche immanquablement sur une impasse, qui plus est dangereuse. Changer de prédicativité en se gardant bien de l’articuler à la négation qui la fonde et qui se matérialise dans la signifiance, est devenu un tour de passe-passe typique de ce qu’il et convenu d’appeler la modernité, laquelle se résume à la promotion de conceptions démagogiques, faisant davantage appel au sacrifice plutôt qu’au respect du désir et de sa Loi, qu’il ne faut surtout pas abandonner. Car l’objet qui le cause (objet a) (LACAN) ne peut jamais, et en aucun cas, engendrer des objets susceptibles d’être identifiés et réduits à n’importe quel objet prétendant apporter et assurer une complétude, démentant la division propre à la subjectivité, conséquente à une perte ontologique essentielle et irrémédiable. Lorsque la prédicativité est véhiculée par des idéologies diverses qui s’identifient à la modernité, alors la civilisation, malgré les slogans humanistes qui donnent l’illusion de la protéger, est bel et bien compromise et menacée. C’est pourquoi les « progressistes », qui restent ancrés dans l’idée que leur prédicativité est meilleure que celle des autres, parce qu’elle se nourrit de connaissances et d’a priori scientifiques, n’en finissent pas de partager avec leurs adversaires, voire leurs ennemis, l’éviction et l’exclusion toxiques de l’imprédicativité. Aussi, n’ont-ils pas fini d’ « avaler des couleuvres », et de manifester leurs déceptions. Ils peuvent mettre en avant leur « belle âme », c’est à dire leur « folie », en continuant à rejeter l’inconscient et la logique moebienne inédite qu’il met constamment en œuvre, même au sein d’un groupe, censé mieux la refouler en se faisant passer pour un être collectif, devenu « le porteur « naturel » de la vérité, au motif qu’il rassemble une grande quantité de personnes, lesquelles, en se référant à des discours différents, sont réunis dans leur grande majorité par leur récusation de la subjectivité et sa place dans les rapports sociaux.
L’unité et l’uniformité d’une grande majorité, tant recherchée par des idéologues de tous bords, et finalement instaurée par le partage d’une conception prédicative univoque, n’est en rien un gage pour la démocratie. C’est plutôt l’homogénéité mise en œuvre à partir de conceptions différentes, déterminées par la signifiance et ses conséquences, qui donnera vie à cette dernière. De la même façon que la division subjective renvoie à « l’unarité » en tant qu’elle met au jour une unité fondée sur un défaut, la société doit accepter de se laisser organiser par des conceptions différentes, dont aucune quels que soient les pouvoirs qu’elle s’arroge, ne peut garantir à tous, ni à quiconque la fin de son manque à être, au risque de mettre en danger son existence. Et ce, même si sur le plan économique, celui des besoins fondamentaux, ladite société se montre capable d’apporter des satisfactions certaines et reconnues.
Dégager des différences de points de vue et des divergences théoriques le fondement signifiant qui les autorise, et met en évidence le réel qui leur échappe irrémédiablement, conduit à mettre progressivement en valeur cette unarité, moins funeste que l’unité identitaire qui met en péril la subjectivité et fait échec à la politique, confinée dans une définition univoque, dictée par le symptôme essentiel qui consiste à nier le « manque à être ». Ainsi, je reprendrai mon propos concernant mon algérianité en tant qu’elle exprime et manifeste un mode d’expression particulier et spécifique -sous la forme de traits culturels- de ce qui est commun et partagé par tous les êtres parlants et par chacun (e ) : le vide fondateur du « manque à être », métaphorisé de manière individuelle et groupale, sans que le fantasme de chacun (e ), soutenu par une ou des conceptions idéologiques, ne parvienne à l’éliminer, et donc à s’en départir. L’appartenance à une communauté nationale, à une identité dite nationale, ne comble d’aucune façon le « manque à être », qui permet paradoxalement de s’individualiser tout en préservant ce qui est définitivement soustrait à une unité imaginaire, porteuse désormais d’un défaut contre lequel s’organisent toutes les mystifications identitaires, des plus nostalgiques aux plus fanatiques. L’individuation, qui refoule l’assujettisement ou la sujétion au symbolique et met sous le boisseau le sujet par le biais de multiples formes de « parêtre » ne vient jamais à bout, ni tarir sa source : le vide, issu de l’irréductibilité du « manque à être ». Le « parêtre », sous toutes ses expressions et manifestations, confirment que le « manque à être » constitue la substance essentielle et permanente de l’individuation, qui projette de pervertir ce vide en le comblant par une identification à une identité, issue de constructions idéologiques, réclamées par le fantasme. Si le « parêtre », ne rencontre pas d’obstacles rédhibitoires, comme les barrages psychotisants, il conduit progressivement au ratage identitaire à visée ontologique, et facilite l’advenue du sujet comme la confirmation du « manque à être », dont les effets implicites sont constants, malgré les symptômes présentés pour lui faire échec. « Là où c’était, dois-je advenir !» (LACAN). Aucune identité individuelle, renforcée par les prétentions d’une communauté nationale ou groupale, qui s’organise pour mettre fin au vide nécessaire à l’existence de tout un chacun, ne peut s’opposer indéfiniment au principe de non-identité à soi, issu de la dépendance de n’importe quel être parlant au symbolique, et partant à la signifiance. Les sociétés qui croient bannir cette dernière pour rompre la dialectique qui articule la métonymie, assurant la continuité infinie du vide, et la métaphore, mettant en œuvre la discontinuité autorisée par cette continuité, en sont pour leurs frais et le paient cher sur le plan socio-historique (cf. la société allemande avec le nazisme).
Autrement dit, lorsqu’une politique, engagée par des forces sociales passionnées par l’éradication du « manque à être », accapare tous les pouvoirs pour imposer autoritairement et brutalement le clivage des rapports (matérialisés par des conceptions idéologiques et la mise en place d’institutions) qu’elle produit et noue avec le non rapport, c’est à dire la faille ou le défaut fondamental, qui est à leur source, elle se condamne à terme à une sclérose intellectuelle et à une autodestruction de plus en plus violente. Faire barrage au dépassement, rendu possible par la mise en continuité moebienne du bilatère, rendu possible grâce au signifiant –malgré le déni qu’il lui oppose-, aggrave la fétichisation objectale et entrave définitivement tout gain d’un « en plus », issu de la prise en compte du vide, qui le génère.
Amîn HADJ-MOURI
23/03/20
*Appropriation d’un attribut fabriqué et jeté en pâture par toutes sortes d’idéologies, qui poussent à des surenchères quant à la garantie ontologique qu’il est censé apporter, et qui couronnerait les quêtes et conquêtes « identitaires » de tous ceux et de toutes celles qui récusent le « manque à être » structurant tout « être parlant ». Si ce « manque à être » est structural, sa prise en compte ne signifie en aucun cas prôner une paupérisation matérielle et intellectuelle, et partant imaginaire, cherchant à l’honorer et être à sa hauteur en vue de le maîtriser. Quant aux encouragements appelant à une accumulation objectale pléthorique, ils n’auront pas plus raison de lui. Le « manque à être » détermine en vérité un discours qui ne saurait se satisfaire du semblant pour récuser le réel.