Il s’agit ici d’une reprise plus « conceptuelle » d’une intervention, faite à ROUBAIX, auprès de personnes dites en difficultés socio-économiques, et prises en charge par une association caritative. Un des membres de cette association m’a demandé d’intervenir pour expliciter l’approche psychanalytique des « addictions », et les problématiques qu’elle dégage, tant au niveau individuel que sur les plans social et politique .
S’adresser à ce « public » dont le « niveau intellectuel », brocardé par les tenants et les adeptes de la « psychose sociale », n’est pas censé leur assurer la compréhension du discours analytique, a participé incontestablement à la « compactification de ma faille ». L’échange qui a eu lieu, m’a convaincu que l’obstacle à l’intelligence de l’inconscient provenait beaucoup plus de l’aliénation sociale, plus exactement de l’ asservissement à la « psychose sociale », accentuée et aggravée jour après jour par la barbarie aliénante du capitalisme, servie par de nombreuses « saintes nitouches », dont l’humanisme peut pousser à un «àquoibonisme », de plus en plus démissionnaire et dangereux sur le plan politique.
Enfin, cette nouvelle expérience m’ a confirmé dans l’idée, déjà établie chez moi, que les résistances les plus acharnées contre ce lien social –si particulier- qu’est le discours analytique, proviennent surtout de ceux et celles qui brandissent leur(s) savoir(s)/ VS leur ignorance, pour faire échec à la négativité que mobilise l’inconscient en vue de faire recouvrer au sujet sa dignité. Cette dignité, garante, à mon sens de la civilisation, ouvre la voie à une re-définition de la citoyenneté. Autrement dit, comment s’inscrire dans le champ socio-politique lorsque cette négation, consusbstantielle au sujet, n’est pas forclose par l’adhésion à une idéologie qui, malgré son opposition résolue à une autre ou à d’autres idéologies – ne la reconnaît pas à sa juste valeur, c’est-à-dire comme une dimension cruciale de l’existence de tout un chacun ? Aussi, ces idéologies s’affairent-elles pour mettre en place un discours qui favorise l’inhibition intellectuelle, et accentue l’impensé en renforçant la doxa et son obstination quasi fanatique du bilatère.
INCONSCIENT ET ALTERITE : L’HUMANITE ET LA CIVILISATION
Comme j’aime à le dire souvent, quitte à me répéter : dire ce que je pense, ne signifie pas énoncer ce que les autres doivent penser. Il appartient à chacun(e) d’entendre mes propos à sa façon, qui dépend à la fois de ce qu’il (elle) sait, de ce qu’il (elle) ne veut pas savoir, et de ce qu’il (elle)ignore. Le plus étrange dans cette affaire, c’est que parler de subjectivité, se heurte très souvent à des résistances, tenaces et féroces, érigées contre ce qui est en vérité très familier. Quoi de plus familier que rêver ? Même si le rêve ne livre pas immédiatement les sens qu’il contient, il nous met à l’épreuve si l’on veut s’y intéresser sérieusement, en dehors de toute explication « universelle » réductrice, et partant fausse. En effet, alors qu’il est censé représenter « la voie royale » de l’inconscient en réveillant à l’altérité intime, il peut être soumis à une explication réductrice, qui refuse impérativement que cette altérité, qui lui confère son incompréhension, naisse de cette inoubliable « mort de l’être », laquelle impose tant bien que mal des projets de résurrection ontologique, matérialisés, voire incarnés par des objets et/ou des personnes « surévalués », pour être idolâtrés.
L’altérité que mettent en évidence les formations de l’inconscient, conduit à une éthique qui n’incite d’aucune façon à quelque sacrifice que ce soit, dans le sens où il passerait pour paradigmatique de la castration imaginaire en tant qu’elle résiste au « manque à être ». Le sacrifice, au sens de « faire don de sa personne », revient à céder sur son désir, à trahir sa loi et à prendre place dans la « psychose sociale », tout en renforçant ses tendances à forclore la béance causale, propre à chacun( e ), et corrélative de la dépendance du symbolique, à laquelle tous les êtres parlants –sans exception- sont assujettis. Servir le DA (discours analytique) consiste à respecter et à rester fidèle à la Loi du désir, en « compactifiant -sans cesse sa propre- faille ».
Pour les nostalgiques de l’ontologie, la vie peut se transformer en martyre, parce qu’ elle n’apporte pas la jouissance de la plénitude et de la totalité tant attendue et tant promise par les uns et les autres. Si la vie s’avère de plus en plus décevante, il arrive qu’on ne veuille plus se battre pour elle, mais contre elle dès lors qu’elle est identifiée comme la source de toutes les déceptions et les désenchantements. La mort apparaît dans certains cas, comme l’unique solution. A sa place, d’autres recours sont possibles, comme celui qui vante « la pilule du bonheur » et tous ses ersatz, dont la toxicité à terme est inévitable. S’adonner à l’usage de tels objets, en développant pour eux un fanatisme de plus en plus passionné, conforte la martyrologie ambiante, bien entretenue par les idéologies ontologiques et hygiénistes, qui s’ingénient à décrier le désir en l’épurant de sa loi, laquelle implique la négation de la jouissance phallique. Se sacrifier pour « l’amour fou » voué à son objet de prédilection, revient à sacrifier son existence (de sujet) sur l’autel du moi et de la « psychose sociale », qui ne cesse d’encourager les colmateurs et les obturateurs de la « béance causale », consignés à l’occasion dans les palmarès qu’elle exhibe.
La perte d’être ou « troumatisme », fondatrice du sujet, ne requiert aucun sacrifice ! Elle fait partie intégrante du processus d’assujettissement , qui implique très tôt des choix quant à l’acceptation ou au refus de ce processus de dénaturation partielle, liée à l’instauration de l’ordre symbolique. Elle met en jeu des choix qui témoignent de ce « troumatisme », et des voies qu’il ouvre pour l’adevenue du sujet, non sans le concours du moi.
Le moi, malgré lui, et grâce à sa garde vigilante, se plaint de souffrir de manifestations troublantes, qui « passent par lui », et le perturbent en se les rendant tellement étrangères. Elles montrent qu’il feint –en toute bonne foi- de soupçonner sa participation à leur organisation. Se plaignant aussi de ne rien y comprendre, il fait alors appel à de supposés connaisseurs, dont le savoir sert surtout à les maintenir dans cette « étrangèreté » (LEVINAS), et dans une extranéité incompréhensibles. Faire appel à un tel savoir revient à résister à toute altérité, considérée comme menaçante pour cette entité consciente d’elle–même, qu’est le moi. Ce type de savoir(s) a pour but de renforcer ce rejet de l’altérité qui produit les troubles. Il est d’autant plus séduisant que ceux et celles qui sont supposés le détenir, reçoivent un amour sans pareil (transfert imaginaire), surtout si leur prétention « pacificatrice », apaisante et humaniste s’avère efficace à éloigner cette altérité. Mais en contrepartie, ces tentatives d’exclusion de l’altérité, constitutive du sujet, mettent en place insidieusement des facteurs mortifères, qui participent à des aggravations de ces troubles, ainsi qu’à leur chronicisation, justifiant ainsi une dépendance quasi addictive à ce genre de savoir(s), exclusifs du sujet (aggravation iatrogène par –amour- de transfert –imaginaire- résistant à l’inconscient).
La mise à mort de l’existence subjective par déni de l’altérité, qui témoigne du sujet, fait obstacle à la réappropriation du symptôme, censé provenir des propres « idées » de celui ou celle qui s’en plaint, et du moi qui en souffre. Elle accompagne la réduction des symptômes à des phénomènes cérébraux, de type biochimique et/ou électriques, dotés d’une signification univoque et totalitaire, « confortable » aussi bien pour les tenants de cette imposture intellectuelle, que pour ceux qui refusent la division intime qu’instaure en leur sein, ou en leur for intérieur, la condition d’être parlant, dont ils ne peuvent se défaire, quoi qu’ils disent et fassent, et malgré les efforts de leurs sinistres « sauveurs » qui s’acharnent, à leur demande, à les « sinistrer » davantage, d’autant plus que la société, guidée par ses penchants à la psychose humaniste, veut bien les identifier et les reconnaître comme malades, qu’elle rétribuera plus ou moins chichement, en échange. (cf. l’AAH ou allocation d’adulte handicapé, par exemple).
Ainsi, la pire des aliénations sociales peut être préférée à l’aliénation spécifique, d’ordre symbolique, liée à l’irréversibilité de cette condition d’être parlant, désormais appauvrie, décriée et dénigrée, par des idéologies engagées dans un combat politique acharné, qui se résume à faire triompher leur solution idéale de colmatage de la « béance causale », en excluant le sujet. Aussi, n’est ce pas parce que des personnes sont victimes d’inégalités socio-économiques injustifiées et de plus en plus grandissantes, qu’elles se transforment, en raison de cette assignation sociale, en adversaires résolus de l’aliénation sociale, soutenus par un discours faisant valoir la subjectivité. La libération de cette aliénation sociale, fondée sur l’affirmation de sa condition de sujet, liée à celle d ‘ « être parlant », qui met en évidence la castration symbolique, est inconcevable-même pour les « progressistes » qui considèrent que le nec plus ultra réside dans le recouvrement de cette illusoire unité ontologique, laquelle est structuralement hors de portée de n’importe quel « être humain », qu’il soit seul ou en groupe. Ainsi, la subjectivité se voit bafouée par les victimes mêmes de l’aliénation sociale, qui n’ont d’yeux que pour le moi, qu’il s’agit de protéger contre tout ce qui l’altère : la fameuse « société de consommation », mère de tous les vices, sert à bien masquer le système d’exploitation dominant, qui avec l’aide de la psychiatrie et de la psychologie,entre autres, mène quotidiennement son travail de sape de la subjectivité.
L’imposture des marchands de « la folie de la guérison », bien adaptés à la « psychose sociale », consiste à s’évertuer, afin de ne pas effrayer le « chaland », à convoquer tous les savoirs « soft », pour abraser la complexité propre à la logique de la subjectivité, réputée trop incompréhensible pour « le commun des mortels », qui est pourtant lui-même porteur de la structure, caractérisant celle-ci. Le DA n’a pas besoin d’être vulgarisé, sous prétexte de pédagogie. Si, de surcroît, cette vulgarisation inclut la séduction, elle sera probablement plus attractive, mais elle sera certainement plus corruptrice et plus réfractaire à l’inconscient et à sa négation. Cette résistance bat d’autant plus son plein, qu’ elle est partagée par un nombre croissant de convertis (es) à une doxa, qui n’a plus rien à voir avec le DA, mais qui grossit l’armée des supplétifs, chargés de conduire les « invasions » du bilatère –camouflé dans des oripeaux scientifiques- contre l’unilatère. Ce combat idéologique et politique rejoint en fin de compte celui que mène le capitalisme sur tous les fronts, pour que la plus value et la jouissance « toute » qui lui est accolée, ne laisse aucune chance au « plus-de-jouir ».
Même l’activité onirique se voit contaminée par un réductionnisme qui lui attribue une signification, totalement exclusive de références à l’altérité : les manifestations rappelant cette dernière sont bannies, car elles risquent de faire échec aux savoirs univoques et totalitaires, qui s’associent et se confortent mutuellement, conférant d’ailleurs au corporatisme – partagé par tous ceux qui y trouvent leur compte, que ce soit en monnaie sonnante et trébuchante et/ou en narcissisme secondaire-, des accents de plus en plus débiles, organisés autour d’un psittacisme de la même doxa, malgré les timbres différents qui l’enjolivent et la diversifient faussement. L’accumulation de ce genre de savoirs prétendant à la prédicativité, et à sa garantie, aggrave la débilité, liée à l’univocité, qui se double de déni et de refus catégoriques de toute imprédicativité, sans laquelle ils ne verraient pourtant pas le jour. Le pire réside dans le fait que la psychanalyse elle-même a été contaminée par cette perversion, qui a vu le jour du vivant de FREUD. Elle s’est poursuivie, voire aggravée, malgré l’apport lacanien, qui connaît le même sort de nos jours. Combien d’analysants choisissent des psychanalystes qui séduisent par leur savoir prédicatif, « spécialisé » dans l’évacuation de la logique du DA, lequel se retrouve enserré, dans leur idéologie qui lui assigne le rôle pervers de garant de la prédicativité suprême. Ainsi, les uns et les autres s’allient autour d’une farouche et redoutable résistance à l’inconscient. Ils font ainsi obstacle à l’avènement de ce lien social qu’est le DA en tant qu’il s’oppose à la psychose sociale, grâce à la mise en œuvre d’une déconstruction, fondée sur la négation, propre à la fonction signifiante, et promotrice de cette imprédicativité, inhérente à l’incomplétude du symbolique, cristallisée autour de la lettre.
Bien souvent placés au premier rang, certains imposteurs n’hésitent pas à « déverser » doctement des tombereaux de citations lacaniennes, qui se voient dégradées et réduites en slogans, dès lors qu’on accorde un peu d’attention à leurs énoncés. La logique censée déterminer les formules citées, est complètement évacuée et leur devient complètement étrangère : l’exécration de la « béance causale » et la détestation de la « compactification de la faille », irriguent le docte savoir qui, allié à des idéologies prédicatives, prétend guérir. Même le vide, inhérent à la « béance causale », subit un pervertissement en devenant une catégorie réifiée, de type ontologique, qui perd son caractère opératoire et mobilisateur de productions, en tant qu’il constitue la source irrévocable d’extensions qui le subsument et le matérialisent son insaisissabilité immédiate. Sa raison d’être est liée aux effets qu’il engendre : les extensions qu’il génère, s’avèrent nécessaires à sa concrétisation qui est constamment médiée : grâce à elles, qui le métaphorisent, il devient possible de saisir son modus operandi. Ainsi, le vide soutient la « compactification », de la « faille » -propre à chacun en tant qu’elle renvoie à la « béance causale », partagée par tous- et bat en brèche toutes les illusoires conquêtes ontologiques. C’est pourquoi il est refoulé, voire forclos par des dénonciations plus ou moins tapageuses, aussi séduisantes que séductrices, qui servent à mieux enraciner la confusion entre les discours hystérique et analytique, à la grande satisfaction, et au bénéfice de celui de l’Université.
Si cette « compactification » est tellement décriée, voire rejetée, c’est parce qu’elle s’appuie sur la pulsion de mort qu’elle convoque, pour mobiliser la lyse spécifique, mise en œuvre par la psychanalyse, laquelle consacre la lettre comme gage de la métonymie, que toute métaphore est censée concrétiser et illustrer. La lettre devient la cheville ouvrière qui renvoie tout processus métaphorique à la métonymie, qui l’alimente sans cesse en lui permettant par là même de s’affiner et de s’améliorer, tout en rendant compte de sa nécessité au titre de source intarissable, alimentée par la « différance » (DERRIDA) du signifié. Ainsi, la sublimation participe à la « compactification de la faille » en mettant en évidence cette « différance », qui concrétise la temporalité du désir en tant qu’il implique l’objet qui le cause (objet a), à travers tous les objets sur lesquels il appose son sceau et sa marque, en intervenant dans leur choix et dans leur sélection.
Il est à noter également que le psittacisme, mis au service de la doxa, dissimule mal les confusions répétées entre les objets, mis en jeu par le fantasme et l’objet a, « cause du désir ». Tout objet fantasmé est en quelque sorte « prédicativé », inclus dans la convoitise ontologique que la quête conjonctive du fantasme, poursuit et organise sous forme de « traversée », qui connaît une « saturation objectale » angoissante et source de heurts, parfois favorables à son élucidation. En effet, c’est la conjonction elle-même qui engendre des travers, susceptibles de mettre au jour, pour peu qu’on leur accorde de l’attention, c’est à dire pour peu que la lyse évidente du DA, soutenue par la pulsion de mort, opère et conduit à ce ratage qui assure progressivement l’advenue de l’objet a en tant qu’il fait résonner le désir et sa Loi constitutive.
L’ontologie et la prédicativité hantent l’esprit de certains scientifiques qui croient que la science prédicative, « fantasmée », viendra à bout du reél qu’elle perpétue, pendant qu’elle confirme qu’il constitue son fondement. Ainsi, Etienne KLEIN, n’hésite pas, contrairement à Michel BITBOL , à dire que : « le réel dont parlent les scientifiques est trop éloigné du commun des mortels, ce qui crée une tension psychologique intenable » (L’Express du 29/05/20). Si « le commun des mortels », selon lui, « croit savoir ce qu’on ignore », le scientifique, élevé au rang de parangon de la prédicativité, cesse d’être assujetti à l’imprédicativité, corrélative du réel, parce qu’ « il cherche à savoir ce qu’il ne sait pas encore », comme si ce savoir, au fur et à mesure de son accumulation et de sa capitalisation, pourrait venir à bout de l’imprédicativité, laquelle structure tout énoncé, qui, parce qu’il est soumis à la signifiance, permet l’accès à l’énonciation. E.KLEIN précise que « le scientifique », contrairement aux autres êtres parlants, comme si son savoir l’excluait de l’imprédicativité, inhérente à la signifiance, « ne cède pas aux réponses toutes faites de notre cerveau », (là encore, comme si le cerveau produisait, telle une machine, des réponses uniquement mécaniques). Aussi la sagesse scientifique consiste-t-elle, selon Etienne KLEIN, à « accepter les vérités contre-intutives ». Or, la maîtrise du réel ne dépend pas du « long terme », car le réel est concomitant de toute production « humaine », fondée sur sa dépendance du symbolique, et l’incomplétude définitive et irréversible de cet ordre qui transcende –par l’imprédicativité qu’il détermine- toute conception aussi prédicative soit-elle. La moebianité, mise en œuvre par tout énoncé qui ne saurait se départir de la signifiance, donne lieu à une hypostase qui préserve l’identité des dimensions qu’elle homogénéise en les « consubstantialisant » afin de produire une fiction, c’est à dire pour construire n’importe quelle réalité, jugée raisonnable ou bien déraisonnable, en vertu des seuls canons de la raison classique, exclusive de l’unilatère.
Toute fiction présente une mise en scène, une représentation d’un « insu », qui reste le cadre organisateur de tout ce qui ressortit au su en tant qu’il le recèle irrévocablement. Dans cette logique, la signifiance se matérialise dans la polysémie, en même temps qu’elle scande la métonymie par des métaphores, qui en rendent compte et la relancent. Répéter sous forme d’ânonnements, sous des tons différents, des slogans psychanalytiques, montre le degré d’idéologisation du DA. Restituer sa logique à ce dernier, ressortit au respect de son éthique, qui consiste à ne plus abandonner la négation, devenue si évidente grâce au travail analytique, lequel apparaît cependant de plus en plus réceptif aux platitudes de la raison bilatère, dont la résistance à l’unilatère est proportionnelle à sa « valeur d’usage ». Cette raison bilatère est mise en jeu par la « psychose sociale », pour renforcer son opposition et consolider son ostracisme quant au fondement intensionnel des différentes fictions en circulation dans une société. Cet ostracisme est rassembleur : il mobilise les résistances, développées contre l’inconscient, et dévoie la signifiance qui s’impose toujours à un moment donné, comme une vérité inébranlable. Cette vérité est toujours contenue dans les énoncés qui se veulent remparder contre elle en paraissant clos et inébranlables, voire « intouchables ». Elle éclot car elle procède de la signifiance qui détermine ces derniers : ils ne peuvent faire autrement que la contenir, alors qu’elle sourd d’eux de façon inexorable. Elle est associée à une aliénation essentielle qui grandit l’ex-sistence par le biais du montage pulsionnel, confirmateur de la perte irrécupérable d’essence ou d’être, devenue le lieu d’un non-su radical, transcendant tous les « sus » et « insus » qui l’éternisent. A DAS DING fait écho la BEJAHUNG, confirmatrice du refoulement primordial, « troumatisant » !
Résister à ce « troumatisme » résultant de la subversion du corps par le langage, passe aussi par l’appel lancé à des auteurs, dont le savoir sert à inhiber la production de sa propre théorie fictionnelle, issue des lectures différentes de sa propre vie, toujours rapportée sous forme de roman, sans cesse remaniable grâce à ce non su qui le fonde, et à la signifiance qui s’en dégage, tout en le matérialisant. C’est pourquoi, comme je l’ai déjà évoqué, dire ce que l’on pense ne signifie nullement dire ce que les autres doivent penser. Chacun(e) doit s’occuper respectueusement de ce qu’il (elle) pense pour ne pas arrêter de l’étayer solidement, en le lisant grâce à la lyse du su, constitué de tous les rapports établis sur l’oubli du vide, c’est à dire l’oubli de ce non-su. Irréversible et irrévocable, ce dernier rétablit le non-rapport dans sa fonction essentielle, celle qui permet au désir de ne pas céder à « la psychose sociale » et à ses tendances incestueuses, et partant « tueuses ». Ainsi, il devient possible d’énoncer et de formuler plus justement une problématique, grâce au développement des arguments qui la composent, et apportent au fur et à mesure les éléments susceptibles de les évider et de les dépasser en construisant sur ce qui a rendu possible leur décomposition une autre fiction, un autre roman plus solide quant à ses fondements et à leur qualité logique. Plus étoffé autour d’une trame, redéfinie par l’intégration du vide qui mobilise cette temporalité particulière du futur antérieur, le roman se montre plus respectueux de cet insu qui y est définitivement incorporé et complètement assumé. Un tel roman met à l’épreuve l’infatuation imaginaire que les imbus d’eux-mêmes ne cessent pas d’amplifier, en recourant à des connaissances, qui visent surtout à stériliser cet insu essentiel, indéfectiblement lié au vide inhérent à la condition d’ « être parlant ».
Si la science est imprédicative par définition, et par excellence, c’est bien parce qu’elle ne peut en aucun cas récuser la « spectralité » du réel, qui impulse une temporalité dans laquelle ce qui échappe est insaisissable. Devenu éternel et intemporel, ce qui échappe, à savoir le réel, demeure cependant articulé avec la chronologie historique. Cette spectralité confère à la structure subjective son omniprésence, quels que soient les modes de sa figuration et de sa métaphorisation. Elle nourrit toutes les fictions possibles et imaginables qui rendent compte de ce qui leur fait défaut et qu’il est impossible de maîtriser. Cependant, tous les adeptes de la prédicativité, enivrés par leur(s) savoir(s) et leurs prétentions au colmatage du réel, finissent par l’évacuer et ne pas en tenir compte, à telle enseigne qu’ils se voient rejoindre les cohortes de fanatiques religieux, de toutes obédiences, qui refusent que Dieu soit le nom de ce qui leur échappe. Cette sécularisation de la religion vaut aussi comme « bouche-trou », d’autant plus « progressiste » que Dieu, l’unique exception ontologique, est réfuté parce qu’il renvoie inévitablement tous et chacun, à leur condition d’ « être parlant », les contraignant dès lors à produire des fictions, fondamentalement incapables de récuser ce qui leur échappe, et qui les détermine par là même, même si elles rivalisent entre elles, en méconnaissance de cause. Dans ce contexte, la course et la concurrence plus ou moins belliqueuses quant à la prédicativité et à sa garantie, ne tiennent plus compte de l’imprédicativité, qui fonde toutes les fictions et toutes les métaphorisations, confirmatrices de « la spectralité du réel », dont la méconnaissance prend le pas sur sa récusation explicite : en effet, comment récuser ce qui échappe et se traduit par des effets concrets et manifestes?
La multiplication des points aveugles, due à la dédialectisation des extensions et de leur intension, accroît l’impensé, dont l’utilité pour la doxa et pour la « psychose sociale », se raffermit par le recrutement d’ « experts » -élevés au rang d’ « élites »- parce qu’ils savent mettre leurs connaissances au service de la dissociation, de la dislocation , voire au démembrement actif et résolu de toute articulation envisagée entre prédicativité et imprédicativité. Ces experts en escroquerie intellectuelle sont responsables par là même d’un méfait politique : la lutte acharnée qu’ils mènent pour vaincre l’imprédicativité apparaît comme un progrès, qui est permis et soutenu par cette « démocratie », qui dissimule le système d’exploitation capitaliste, pour se présenter comme lui étant consubstantielle, autrement dit insécable de ses mécanismes intimes. Aussi, tout ce qui peut représenter une menace contre lui et son idéalisation suprême, est âprement combattu au nom du progrès, lequel progrès est incarné aussi bien par ceux qui, tout en dénonçant les injustices générées par ce système, sont prêts à pervertir des revendications légitimes pour les inscrire dans des programmes d’aggravation extrême des conditions d’exploitation, à l’image des nazis et des fascistes qui l’ont déjà fait, pendant les années 30 en Europe, dans le but de sauver –par la tyrannie la plus violente qui soit- le capitalisme et sa rationalité, toujours à l’œuvre à travers des fictions, qui se veulent autrement plus prédicatives qu’elles peuvent paraître parodiquement et cyniquement progressistes. Lutter contre l’imprédicativité en la méconnaissant, revient et équivaut à lutter contre la subjectivité, pour ne plus avoir affaire à la castration symbolique, que la « psychose sociale » confond allègrement avec les inégalités socio-économiques, qu’elle se refuse de les imputer au système capitaliste, qui les génère. Dans le cadre de cette psychose sociale, des revendications légitimes se voient perverties par des interprétations qui les accaparent et les détournent de leur cause principale pour les dévoyer et les rattacher à des raisons factices et mortifères, comme les mouvements fascistes et nazis savent le faire avec le concours d’idéologues « bien formés » et spécialisés dans la raison prédicative univoque, à l’œuvre aussi bien dans les théories psychopathologiques et psychologiques. Ainsi, si l’on ne présente pas de symptôme, on est considéré comme sain mentalement, c’est à dire indemne de toute division et détenteur d’une conscience pleine et entière, garante de cette raison bilatère, directrice de comportements raisonnables et adaptés. Cette « normalité », liée à cette dernière, exclut toute altérité intime qui ferait émerger une autre raison, aussitôt qualifiée de « déraisonnable », parce qu’elle renvoie à une « étrangèreté », avec laquelle aucune familiarité ne semble possible, tant son confinement dans la méconnaissance s’avère obstiné.
L’indécence de l’inconscient et de ses formations blesse la raison raisonnante et raisonnable. L’absolutisme de cette dernière, à l’œuvre dans la censure, révèle les questions épineuses que le savoir cache dans son identification et sa confusion avec la vérité. Elle met au jour non seulement la nécessité des fictions, mais aussi leur structure hypothétique, qui bat en brèche la force unifiante et faussement « pacificatrice » de la raison bilatère, notamment quant à son refus d’inclure l’unilatère. La fausseté de la raison réside dans son rejet de la négation qui la fonde et la renvoie à la spectralité du réel. Elle immobilise la pensée et accroît l’impensé aussi séduisant que terrifiant, en raison même du confort apparent qu’il apporte. Elle soutient et entretient la doxa, dévoreuse du sujet, sous prétexte de protéger le moi, alors qu’il en dépend irrévocablement : la coexistence de celui-ci avec celui-là est liée à la subversion que le corps organique, biologique propose et accepte pour accéder à la vie spécifiquement humaine, dont la sexualité représente un paradigme essentiel : fondée sur un défaut irréductible qui confirme la division subjective, elle donne lieu à des manifestations amoureuses qui la figurent. La lettre que la sexualité ordonne à partir du désir qu’elle mobilise, s’adresse à tout être parlant. Les réponses qu’elle autorise mettent en fait en échec toute prétention cognitive qui croit mettre un terme définitif à sa faille, laquelle s’avère promotrice du littoral qu’elle configure.
Grâce à son incomplétude qui fait écho à « la spectralité du réel », le symbolique autorise tout être parlant à faire sien le monde, en lui donnant un sens qui confirme l’absence de toute essence intrinsèque le définissant. Il est le fruit des rapports qui l’intègrent de façon spécifique, et le restituent selon des configurations particulières, qu’il s’agit d’élucider en mettant en oeuvre une logique capable de forger un « hors point de vue » (cf les apports de René sur cette question), destiné à annuler progressivement les points aveugles, bien souvent « toxiques » pour l’analyse, en raison des distorsions de perspectives qu’ils génèrent, et des préjudices qu’ils causent à la lecture de la logique de la subjectivité, tributaire de la lettre, comme assise du « manque à être ».
La lecture de la théorie psychanalytique, proposée par LACAN, est freudienne, parce qu’elle rompt avec la « psychologisation » et la « psychiatrisation » de la psychanalyse, obsédées par le souci de colmatage fétichiste du « manque à être ». Non seulement elle n’évacue pas le vide fondateur du sujet, qui procède de la dépendance du symbolique, en tant qu’elle est définitivement incorporée, suite à la subversion qu’elle opère au niveau du corps, mais elle éclaire d’un jour nouveau ce qui spécifie la sexualité humaine, à savoir « le défaut de rapport », corrélatif de la dépendance du symbolique, et promoteur de toutes les formes et modalités de l’amour, qui le recèlent en tant que faire valoir du désir.
Écrire, en s’efforçant de ne pas bafouer la moebianité, plus probante dans l’échange de la parole -et partant dans le mouvement épiphanique et aphanisique du sujet-, représente une gageure de taille, qu’il s’agit de tenir et de soutenir, au-delà de la pertinente remarque de LACAN quant aux effets de l’écrit, comparés à ceux de la parole, et dont le risque majeur consiste à enfermer celle-ci et celui-là dans une binarité manichéenne, exclusive de l’unilatère qui les détermine tous deux.
L’objet de l’addiction, c’est à dire l’objet d’amour-passion ou d’amour- fou, enivre tellement de complétude et de plénitude, qu’il fait oublier l’ « ex-sistence », jusqu’à y laisser la vie. Il témoigne alors d’une haine de soi parce qu’il met au jour une altérité irrémédiable, que «le manque » qu’il provoque – qui est contrôlable et maîtrisable (cf. les produits de substitution)- dissimule mal le « manque à être » nécessaire à la vie. La réification qu’il installe, l’asservissement et l’état d’esclavage qu’il assigne à celui qui en est « fou », répondent aux proclamations et aux affirmations de « liberté » auxquelles il pousse, pour nier sa soumission à l’ordre symbolique. La préférence accordée à l’esclavagisme, induit par l’aliénation sociale et les lois qu’elle promulgue, montre à quel point l’aliénation symbolique est exécrée, au point que la seule issue qui reste est la mort, qui plus est –dans ce contexte- par « overdose ». Autant disparaître en violant sa propre limite, pour s’assurer de sa maîtrise totale du « manque », enfin dominé et vaincu. L’objet d’addiction pervertit complètement celui du désir, et entraîne dans son sillage ceux qui sont censés révéler sa fonction dans l’économie psychique, c’est à dire dans la subjectivité que l’aliénation sociale tend à forclore de plus en plus, en conjoignant ses lois avec les « méthodes thérapeutiques » qu’elle institue, et qui sont fondées sur les mêmes conceptions ontologiques auxquelles adhèrent ceux et celles qui ont choisi de se livrer aux addictions, même s’ils transgressent les normes édictées au nom de ce mot-valise : liberté.
Les addictions mettent au jour les difficultés inhérentes à cette relation particulière « d’exclusion interne », instaurée entre le sujet et l’objet, censé renvoyer au désir et au « manque à être » qu’il recèle, non sans avoir affaire au fantasme, qui intervient dans l’élection d’un objet en lui conférant une valeur proportionnelle à l’investissement qu’elle commande et impose. L’ivresse de la « jouissance-toute », même si elle est évanescente, participe à la fétichisation de l’objet, à travers sa valeur d’usage qui promet une complétude, dont le caractère vain et illusoire se traduit par l’état de manque inévitable, qui exige encore plus de maîtrise sur l’objet censé y mettre fin. Il n’est qu’à voir comment les produits dits de substitution entretiennent cette maîtrise de l’objet, maintenu toujours à portée de main.
Je conclurai sur cette réflexion, construite plus ou moins collectivement avec les participants(es), à la suite des propos que j’ai tenus. Elle a été exprimée par l’un d’entre eux : « Alors, accepter ce que nous impose comme limites le langage, c’est plus libérateur que la liberté qu’on nous promet, et après laquelle on court tout le temps ? ». La forme interrogative qui ponctue cette remarque, me semble être la meilleure des façons de la laisser vivre « in petto », pour la reprendre un jour, si tel est le désir d’un ( e ) des participants(es), d’autant plus qu’elle a suscité en guise de point d’orgue de cette réunion, la remarque conclusive d’une des auditrices, « bonne entendeuse » : « un songe n’est donc pas un mensonge…Parce qu’il déforme les choses, pas besoin de clé des songes ! ».
Que ce genre de réactions éclosent, confirme cette idée que l’inconscient –comme « clocherie »- est profondément insolent pour la « psychose sociale », fort accommodante avec le discours de l’hystérie, prôneur d’une désinhibition, qui pousse à des passages à l’acte, très souvent hostiles au sujet et à la politique qui s’en soucie.
Amîn HADJ-MOURI
10/06/20