« En quel sens au juste y a-t-il plusieurs mondes ? Qu’est-ce qui distingue les mondes authentiques des contrefaçons ? De quoi les mondes sont-ils faits ? Comment sont-ils faits ? Quel rôle jouent les symboles dans ce faire ? Et comment faire le monde est-il relié au connaître ? Ces questions doivent être envisagées, même si on est très loin de réponses complètes et définitives. » Nelson GOODMAN. « Manières de faire des mondes. Folio Essais. Gallimard).
« S’il n’existe qu’un seul monde, il doit embrasser une multiplicité d’aspects contrastés ; s’il y a plusieurs mondes, leur regroupement est un. Le monde unique peut être appréhendé comme multiple, ou les mondes pluriels comme un ; l’un et le multiple dépendent de la manière d’appréhender. » Nelson GOODMAN (Ibid.)
« Si un prolétaire est à même de saisir le système d’exploitation qui le broie et le soumet à un mode d’existence précaire, ce n’est plus la même chose lorsqu’il s’agit d’aborder la subjectivité, surtout lorsqu’elle est captive de savoirs alimentant des idéologies vantant les mérites de l’ontologie, qu’elles défendent tout en dénonçant en même temps les conditions socio-économiques imposées par le capitalisme et ses différents avatars ». (Réflexion produite en cartel)
Cet écrit fait écho à la réponse que j’ai adressée à René LEW à propos d’une remarque que Frédéric DAHAN avait formulée à la suite de son texte.
D’autre part, en guise de vœux – si tant est qu’ils puissent être exaucés- je souhaiterais qu’au seuil de cette nouvelle année 2022, l’indigence intellectuelle, qui accompagne le « mal être », produit par la doxa conjoignant la « norme-mâle » et « l’être mâle », puisse laisser place à la possibilité de « lire entre les lignes », et ainsi, offrir une chance à l’intelligence de l’hétérodoxie. Cette modalité de lecture libérera, peut-être un tantinet, de la « débilité » ambiante, dont l’envahissement quotidien s’avère de plus en plus pervers, et d’autant plus sadique qu’elle devient l’apanage de pouvoirs de plus en plus autoritaires. Les « matamores de la débilité » n’ont plus honte ! Ils briguent même les plus hautes marches du pouvoir pour imposer d’une main de fer, et avec l’appui de bottes, dont on entend déjà les bruits, la « débilité de l’être mâle », que se disputent tous ceux et toutes celles qui ne veulent rien entendre à l’altérité constitutive du sujet, fussent-ils « progressistes ».
La transcendance qui caractérise la métapsychologie freudienne ne signifie nullement l’absolutisation d’une ou plusieurs dimensions. Elle correspond et renvoie plutôt au vide qui noue et articule borroméennement celles qui constituent la subjectivité. Ce vide opère en concrétisant ou en matérialisant une impossibilité induite par l’interdit structural, qui marque le sujet d’une division irréductible dont un des effets consiste à caractériser toutes les relations objectales qui s’ensuivent, d’un ratage, d’autant plus fécond qu’il laisse affleurer le désir.
Ce que chacun (e) a en propre, c’est sa façon particulière de partager ce qui échappe à tous et à toutes, et qu’il (elle) métaphorise, figure ou schématise à sa manière. Ainsi, la transcendance a la consistance de la vérité, définitivement irréductible à quelque métaphorisation que ce soit. Aussi, en proposant un discours qui met en avant et tient à ces fondements, la temporalité et la causalité, prônées par la raison classique, se voient-elles subverties et intégrées à cette transcendance, alimentée par le vide qui structure la fonction signifiante. Cette dernière exige quelquefois des réécritures de versions récurrentes, induisant même des réitérations et des répétitions qui, j’espère, n’entament ni n’altèrent la consistance logique des propos et des énoncés. Cependant, des imperfections sont toujours charriées par le dit ou les énoncés porteurs du « mi- dit » propre à la vérité, et dont l’échappement perturbe toute doctrine ou idéologie à visée ontologique, notamment lorsqu’elle puise ses racines dans l’essentialisme vitaliste et scientiste, exclusif de l’imprédicativité qui fait écho au signifiant et met en œuvre sa logique spécifique. Le vide en jeu dans la structure du signifiant a des effets probants qui le libèrent de sa signification par la doxa, à savoir celle d’être le facteur principal de l’irréalisme.
Se délester de la méconnaissance du signifiant et de ses conséquences permet au « savoir textuel » de ne pas se laisser supplanter par des connaissances établies sur fond de discours du maître et de l’université, paradigmatiques du refoulement de la structure du sujet. Ces derniers facilitent et favorisent d’autant plus les différentes formes de régression qui tendent à exclure toute trace de dépendance du symbolique qui met en évidence le réel malgré les obstacles posés par l’imaginaire. Ce « savoir fondamental » est d’autant plus inoubliable et ineffaçable qu’il est concomitant du refoulement primordial et de la subversion du corps par l’ordre symbolique. Il transcende toutes les connaissances qu’il détermine en leur imprimant une impossibilité, celle de l’exclure et de s’en passer. Ce savoir ne requiert aucun style amphigourique ou mystérieux. Il n’exige pas de contorsions lexicales pour être dicible. Au contraire, l’amphigourisme dont il peut être paré, fait obstacle à son expression et à la mise en évidence de la logique qui le détermine, à savoir celle du « mi-dit » en tant qu’il est indissociable de la vérité, laquelle renvoie à la lettre qui concrétise de manière continue le refoulement primordial à travers les diverses manifestations du refoulement secondaire. Ce savoir, fondé sur la lettre, est commun en raison de son inhérence à la structure du sujet qui met en partage la condition d’être parlant, et partant l’existence de l’Autre en tant qu’il induit une division irrémédiable confirmatrice de la dépendance définitive du symbolique et de la castration essentielle qui la caractérise. Malgré les traces indélébiles laissées par la structure du sujet, la sensibilité à l’altérité se présente et s’exprime de diverses façons. Elle donne lieu à des réflexions théoriques qui la négligent et l’oublient au point d’engendrer des théories la niant totalement au profit d’une ontologie qui exclut les fondements la rendant elle-même possible.
Les tours de force auxquels parviennent certains discours, dont ceux du maître et de l’universitaire, qui ne veulent rien entendre, et encore moins inclure dans leur structure, la transcendance, c’est-à-dire de la continuité inexorable de l’échappement en tant qu’il caractérise la dimension propre à l’épistémologie freudienne. La rupture de logique que celle-ci a réussi à instaurer en guise de subversion de la raison et de la doxa classiques, ne les contraint pas à l’exclusion. Elles sont nécessaires à leurs propres déconstructions et à leurs dépassements, c’est-à-dire à leurs renversements, dont les effets les plus probants ne consacrent pas pour autant les bouleversements épistémologiques attendus. Autrement dit, ce n’est pas parce que le discours analytique procède des déconstructions d’autres discours par la prise en compte de l’altérité et des traces du refoulement primordial, que ces derniers sont voués à disparaître. Bien au contraire. Il s’agit d’analyser les effets produits sur eux par l’avènement d’un discours auquel ils font résolument obstacle, et qui finit dans certaines conditions par s’imposer, grâce à ses fondements qui rappellent « l’unarité » (unité fondée sur la division du sujet garantissant la singularité). Cette unarité, liée à la condition d’être parlant, met à la portée de tout un chacun le savoir qui a accompagné la construction progressive du sujet. La transcendance de ce savoir associe l’inconscient à l’échappement. Elle concerne le réel dès lors que le symbolique est engagé et l’imaginaire appelé à la rescousse, et circonscrit une béance qui n’a de cesse d’être suturée par des théorisations qui ne la supportent pas et veulent en finir avec elle, à la grande satisfaction des adeptes de l’orthodoxie ontologique, « surchargée » de xénopathie.
Le vide qui donne sa consistance à cette transcendance, de l’altérité, matérialisée par la faille ou la béance, est étayé par la fonction signifiante et est confirmé par le désir, qui fait de tout objet convoité un ersatz objectal, dont l’illusion de complétude et de plénitude est supplantée par un ratage qui nourrit ce vide et le consolide. Ainsi, la « faille se compactifie » pour soutenir la transcendance du vide et sa continuité incessante, entrecoupée de scansions qui, si elles la font oublier, n’y mettent jamais un terme définitif en raison du primat du signifiant et de sa fonction préservatrice de l’écart avec le signifié. Cet écart irréductible concrétise le vide propice à la construction de réalités qui l’incluent nécessairement, et le métaphorisent tout en préservant son caractère transcendantal, inhérent à l’échappement qu’il met en œuvre et qui excède toute réalité. Il établit par là même, au sein de cette dernière la dimension de l’impossible qui lui permet dès lors de se distinguer du réel, malgré toutes les confusions introduites par l’imaginaire qui ne souffre pas l’incomplétude du symbolique en tant qu’il sème le chaos dans un ordre « naturel », empreint tout de même par des déterminations soumises aux « lois de la nature ».
« SI ON N’EST PAS, C’EST QU’ON N’A PAS CE QU’IL FAUT POUR ETRE. MAIS ON A TOUJOURS CE QU’IL FAUT POUR N’ETRE PAS !» (Réflexion de cartel)
Cette béance qui engendre le « manque à être » n’est pas une carence qui requiert une compensation pouvant la résorber. Elle constitue la pierre angulaire de la subjectivité en tant qu’elle est à la base de l’avènement du sujet et de son existence. Elle fait échec à la réification de la subjectivité en mettant en évidence « la Chose » qui, via l’objet a, est incrustée dans le désir en tant qu’il ouvre l’accès au « plus de jouir » et préserve toute relation d’objet des diverses réifications objectales et objectives de type totalitaire. Le désir contribue grandement aux déconstructions des réalités que les idéologies figent en les confondant, qui plus est, avec la vérité, laquelle est considérée comme la suture de la béance structurale résultant de connaissances qu’elles sont censées détenir et prodiguer au détriment du sujet. La « psychose sociale » qui s’ensuit fait obstacle à la transcendance qui permet de jouir de la béance en tant qu’elle ne cesse d’être confirmée par le symbolique, dont l’incomplétude et la dépendance à laquelle tout un chacun est tenu, participent au chaos de la doxa, lequel chaos fait valoir le « plus de jouir ». Ainsi, en excédant la « psychose sociale », la signifiance transcendantale consolide la « compactification de la faille » et assure l’existence du sujet grâce aux bouleversements et aux remaniements des réalités construites, et appelées à évoluer dans le sens de la reconnaissance de la béance et non pas dans celui de sa suture.
Quoi qu’il en soit, la lettre concomitante au refoulement primordial, arrive toujours à destination pour imposer le ratage à la jouissance toute, convoitée par la doxa et la psychose sociale. Elle assoit et assure la loi du désir qui fait de l’impossible la condition sine qua non du « plus de jouir ».
La raison classique qui ne jure que par le bilatère (nécessaire et indestructible) se heurte à des limites devant lesquelles elle rivalise de méconnaissance : son acharnement à refouler, voire à forclore l’unilatère, à la lumière de ce qui caractérise par exemple le discours universitaire, promet en vain un savoir capable de suturer la béance inhérente au dire, fondé sur le signifiant, tel que LACAN le définit dans sa « linguisterie ». La mise au rebut de l’inconscient par un tel discours participe indirectement à l’exclusion de l’altérité et au développement insidieux de la xénopathie. Ainsi, les discours du maître et de l’universitaire contribuent à la forclusion du sujet et à l’expansion de la « psychose sociale », malgré les symptômes qui apparaissent, se multiplient, s’aggravent tout en mettant au jour insidieusement la butée que représente la structure du sujet. La béance constitutive de cette dernière fait échec à toute revendication ontologique totalitaire, comme celle que porte et transmet la paranoïa. Aussi la barre de division du sujet, homologue de celle qui marque l’Autre, est-elle déniée dans le but de ne plus avoir à faire à l’aliénation signifiante et la séparation d’avec tout objet remettant en cause le ratage qui marque de son sceau toute relation objectale. Les fantasmes de complétude soutenus par ces discours, que l’hystérie remet en cause quant à leur incapacité de suturer la béance ou la faille subjective, sont indispensables à la mise en évidence de leur architectonie et de leurs étayages qui recèlent le ratage qu’ils manifestent à un moment donné, notamment lors de l’apparition de symptômes. Ils facilitent la mise en échec du sujet en soutenant toutes les illusions ontologiques que les idéologies les plus diverses, et parfois parmi les plus opposées d’entre elles, répandent voire imposent pour mieux ancrer la psychose sociale dans les rapports sociaux. Le triomphe apparent de la raison classique qui domine les multiples constructions destinées à faire oublier leur fondement signifiant, malmène la causalité qui exige malgré tout que l’on cause et partant, de se retrouver face à de l’inattendu et de l’imprévu, battant en brèche ce qui semblait être maîtrisé et placé sous contrôle par ces discours, dont la tendance à la réification est patente. La béance, toujours active, favorise, grâce à la parole, la décantation des éléments et des dimensions présents dans ces derniers et indiscernables initialement. (Pas d’unilatère sans bilatère qui s’avère nécessaire à sa mise en évidence, même s’il s’efforce de le refouler, voire de le forclore).
QUELLES INFLEXIONS IMPRIMER AU BILATERE DOMINANT POUR QUE « WO ES WAR, SOLL ICH WERDEN » (FREUD) / « LA OU C’ETAIT, DOIS-JE ADVENIR » (LACAN) ?
La nécessité du bilatère et la domination qu’il exerce grâce au discours du maître notamment ne peut faire échec à la fonction signifiante : la parole, comme l’écrit, met en jeu la lettre qui, parce qu’elle rappelle – comme trace- le refoulement primordial et ses conséquences, infléchit le bilatère et favorise l’émergence de l’imprédicativité en tant qu’elle met en exergue l’impossibilité de tout dire. Aussi, le « mi-dit » devient-il la caractéristique propre de la vérité qui consolide l’incomplétude du symbolique et met au jour le réel, impossible dès lors à « dhommestiquer », d’autant qu’il vient confirmer la féminité conjointe à l’unarité en tant qu’elle concrétise la négation de toute ontologie. En somme, le dit (énoncé) est toujours « mi-dit » : il est porteur de la vérité en tant qu’elle se cristallise constamment dans ce « dire qui reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend » (LACAN). Dans ce contexte, les relations objectales, issues d’un manque qui pousse à l’expression de demandes diverses, sont soutenues par la fascination phallique qui, via le fantasme, permet de jeter son dévolu sur des objets pouvant apporter une assurance ontologique, au nom de l’avoir garantissant l’être. Pourtant en filigrane, un tel dessein ne manque pas de rencontrer un ratage d’ordre structural qui renvoie à la loi de la structure en tant qu’elle s’exprime par la voie (x) du désir. Ce dernier fait loi et rend impossible toute complétude projetée et attendue d’un objet quel qu’il soit, malgré ses attirances imaginaires et les illusions ontologiques qu’il peut apporter. Il cristallise une impossibilité qui libère bien des possibilités, fondées sur elle, et sans qu’aucune d’entre elles ne parvienne à la supplanter. Même les psychoses échouent dans ce genre de tentatives, par ailleurs prisées et nourries par les idéologies exclusives du sujet. La béance spécifique de ce dernier insupporte d’autant plus ces idéologies qu’elle met en évidence une altérité, dont l’omniprésence ne cesse de rappeler le vide qui la constitue, et lui confère toute sa densité à travers un discours évitant à l’inconscient toute réification compromettante, menaçant l’existence du sujet. (La barre sur l’Autre est indissociable de celle de la division du sujet, issue de son aliénation signifiante. Elle dialectise et dynamise le narcissisme en le rapportant au « manque à être » qui le détermine, quels que soient les avatars imaginaires du narcissisme secondaire et son impact sur les processus d’identification).
Le vide, toujours à l’œuvre, présentifie la « béance causale » et obvie à tout métalangage prétendant se départir d’elle, notamment en la suturant avec des artifices objectaux et/ou idéologiques, que la parole finit par mettre en échec en rappelant la dépendance du symbolique et son incomplétude qui métaphorise le vide et le concrétise. Quant à l’objet a, il nomme en la métaphorisant la perte définitive de « l’essence naturelle » de « l’Homme », cette « Chose » à jamais perdue, mais dont les mythes ne cessent de se développer. Cette perte le « dénature » en partie et l’élève au rang d’être parlant, en butte désormais à un désir dont la cause est représentée par un manque fondateur de l’existence, manque d’autant plus irrévocable qu’il fait échec à tout objet prétendant le suturer. « Réservoir » de la libido, il impulse des quêtes incessantes, orchestrées par la Chose, dont l’absence confère au phallus imaginaire le rôle de garant ontologique. Ainsi, toute quête ontologique gagne à échouer sur le défaut de rapport sexuel en tant qu’il rappelle le refoulement primordial à partir des conséquences qu’il induit. Ce gain fondé sur l’échec du rapport sexuel et la consécration du son défaut, procure du « plus de jouir », qui fait valoir la négation de toute ontologie comme socle de l’existence qui conjoint le sujet au moi (ou l’inconscient à la conscience, ou encore le bilatère à l’unilatère). En d’autres termes, l’impossibilité induite par l’interdit (« inter-dit ») est mise en œuvre par la négation qu’elle actualise sans cesse pour « libérer » de nombreuses possibilités qui l’intègrent, et sans qu’aucune d’entre elles ne la sacrifient sur l’autel de l’ontologie et de son totalitarisme en transgressant la structure du sujet, c’est-à-dire en suturant la béance constitutive de celui-ci. (La « boucher » coûte que coûte, revient à donner libre cours à la « boucherie » soutenue par une haine de plus en plus contagieuse et massive !). L’exécration de la subjectivité, représentée par l’altérité que met en jeu l’inconscient, suscite une haine féroce qui est projetée sur autrui, assigné dès lors à la place du bouc-émissaire, auquel est imputé l’impossibilité d’accéder au tout, et qui doit expier sa faute. Cette exécration et la perfidie -sous des formes diverses- qu’elle nourrit montrent à quel point le capitalisme -sous de multiples oripeaux- contribue à la subordination du discours analytique pour lui faire partager ses impératifs idéologiques et politiques. Le pervertissement de ses concepts fondamentaux qui, parce qu’ils restent tout de même dépendants du bilatère, se voient spoliés de la logique hétérodoxe qui les soutient, et qui leur permet par là-même de dépasser, voire de transcender celle qui est réifiée par ce discours et ceux qui s’associent à lui. (Cf. Les écrits de Pierre LEGENDRE).
Or, tâcher de mettre en œuvre le travail rigoureux (cure analytique) qui permet l’advenue du sujet, est un acte politique, relevant d’une praxis qui subvertit les rapports sociaux imposés de manière de plus en plus autoritaire par le capitalisme, et tous ses sbires et serviteurs sévissant dans « les appareils idéologiques » (comme les institutions soignantes), mis en place afin de continuer à saper la subjectivité et le « plus de jouir » qui fonde l’existence de tous (toutes) et la singularité de chacun (e).
Aussi, à mon sens, l’alternative ne se résume-t-elle plus dans le choix entre des ontologies « réactionnaires » ou « progressistes, » mais de rompre avec toute ontologie pour faire valoir l’inconscient et sa logique spécifique qui articule, selon une dialectique fondée sur le vide, la spécificité et la généralité, ou les différences locales et l’identité globale, ainsi que le montre aisément la bande de Moebius. Cette rupture épistémologique qui inclut la logique paradoxale, implique que des spécificités n’anéantissent d’aucune façon ce qui est commun et partagé. Elle met en jeu une récursivité (tel que la développe René Lew) qui confère au vide une fonction transcendantale continue. Elle bat en brèche la « liberté » que les idéologues du capitalisme, comme ceux de l’humanisme délié de la subjectivité, tendent à imposer pour exclure le désir et ses attaches inconscientes, et à faire miroiter une ontologie propre à l’individu souverain, défigurant le sujet sous l’emprise d’une paranoïa « hommosexuelle », de type schreberien, sans délire, mais mortifère. L’existence et le « plus de jouir » qui la sous-tend et la soutient, n’ont plus droit de cité !
Au nom de la science prédicative, exclusive des paradoxes, l’inconscient est éliminé, et la conscience « purifiée » de ce qui la pollue et entrave son épanouissement, alors que des idéologies, mises au service d’une telle conception, rivalisent de stratagèmes pour apporter et garantir une ontologie imaginaire, enfin libérée des entraves de la loi de la subjectivité que le symbolique impose envers et contre tout. L’omniprésence de l’incomplétude qui caractérise ce dernier fait échec aux différentes « prothèses » et suppléances imaginaires, lesquelles signifient -grâce à leurs déconstructions- l’avènement d’un réel, qui assure la dialectique entre la sphéricité (bilatère) qui matérialise la nécessité et l’asphéricité, (unilatère), la contingence. Se cantonner et se confiner farouchement dans la sphéricité, peut représenter une résistance à toute épreuve contre l’asphéricité que même un symptôme ne peut ébranler, surtout s’il est soumis à une lecture pseudo-scientifique qui ne jure que par la raison classique. L’insatisfaction devient la marque indélébile de la vie dont le sens univoque procède du retard pris dans l’accomplissement d’une ontologie, toujours contrariée par des adversaires, voire des ennemis, qu’il faut à un moment donné anéantir, pour que la jouissance et la complétude soient atteintes et partagées avec tous ceux et toutes celles qui les méritent.
LE PAS DE LA NEGATION ASSURE LE PASSAGE DU SYMPTÖME AU « SINTHOME » : ENTRE-DEUX ET NI…NI
La négationqui ressortit au symbolique et en procède grâce à son incomplétude, source de plurivocité, est à l’œuvre dans toute construction bilatère. Elle correspond au signifiant et à sa fonction. Aussi acharnée à démentir son propre fondement signifiant, une construction bilatère, à l’image d’un symptôme névrotique, ne peut pas « bloquer » indéfiniment le retour de ce qui la fonde et la détermine. Un tel symptôme contribue à la réification en se fixant à une construction bilatère qui tend à refuser la dialectique entre elle et l’unilatère sans lequel elle n’aurait pas de raison d’être, d’autant qu’elle le matérialise de façon métaphorique. Ainsi, comme ce dernier recèle ce qui le dissout et qui fait partie de ce qui le constitue, la remise en cause et « l’insurrection » qu’il mène contre ce qui empêche d’accéder à une unité et à une complétude idéales, peuvent déboucher -pour peu qu’on leur offre la possibilité de s’exprimer le plus explicitement possible, sans arrière-pensée « orthothérapeutique »- sur une déconstruction rendue possible par les développements qu’elle génère, et qu’il s’agit de mettre en évidence et en valeur dès lors qu’ils sont délivrés. Le passage qui permet le dépassement d’une construction symptomatique à une autre construction, qui intègre dorénavant son fondement symbolique et admet la dialectique entre le bilatère et l’unilatère, inhérente au signifiant, constitue un acte qui remet en question la réification pathologique imposée par la conscience et son alliée : la raison classique, exclusive du paradoxe et des liens qu’il noue avec la « béance causale » du sujet.
La négation, nourrie par la structure du signifiant, est inépuisable. Elle est étayée et enrichie par l’écart ou le vide qui organise les rapports entre le signifiant et le signifié, et détermine l’imprédicativité de la chaîne signifiante. Sa persistance s’appuie sur la continuité et l’éternité du vide sur lequel s’appuie le travail d’évidement qui ne connaît pas de limites conçues a priori. Aussi, cette tâche exigeante ne consiste-t-elle pas à substituer une simple construction bilatère par une autre, aussi exclusive de l’unilatère que la précédente, mais au contraire une autre qui est « passée » par la subversion issue de la prise en compte du fondement signifiant, soumis au refoulement, et dont l’omniprésence est de ce fait, mal entendue.
Enfin, je conclurai mon propos en faisant mienne cette réflexion de Werner HEISENBERG qui propose dans son ouvrage « La partie et le tout. Le monde de la physique atomique » (Champs. Flammarion) : « Le progrès de la science ne s’accomplit pas seulement en ce sens que nous apprenons à connaître et à comprendre des faits nouveaux, mais également en ce sens que nous réapprenons sans cesse ce que signifie le mot « comprendre ». »
Amîn HADJ-MOURI
24/01/22